Fiona McClean – La poésie transformée en peinture

CREST ET SA TOUR

La première chose qui frappe à l’approche de Crest (8000 habitants) c’est une haute tour carrée plantée sur la colline qui surplombe de vieilles maisons aux toitures roses. Esthétiquement, la Tour de Crest n’a rien de particulier sinon sa ressemblance à une boîte à chaussures* de 52 mètres de haut qui se détache contre le ciel et se targue d’être le plus haut donjon de France. D’un point de vue historique elle est plus intéressante.

Sa construction débutera au 12ème siècle sur les fondations d’un château du 10ème siècle. Pendant le moyen âge Crest sera au cœur de violents conflits territoriaux entre seigneurs qui se disputent sa possession avant, au 15ème siècle, d’être rattachée au Royaume de France. Elle sera concédée par la Couronne à différentes familles, entre autres à celle des Cesar Borgia et à celle de Diane de Poitiers la célèbre et influente favorite du roi Henri II. C’est en 1642 que les Grimaldi, princes de Monaco recevront du roi Louis XIII le Duché de Valentinois dont Crest fait partie et ils le garderont jusqu’à la Révolution française de 1789. Les Grimaldi  contribueront au développement et au maintien du village et de ses fortifications mais la destinée de la tour changera complètement. Elle sera dorénavant transformée en prison dans laquelle seront incarcérés des protestants pendant les guerres de religion au 17ème siècle, des prisonniers de droit commun et des détenus politiques. Aujourd’hui, les centaines de graffitis sur les murs, des dessins, des signatures et des textes sont le témoignage particulièrement émouvant de leur passage et de leurs souffrances. Quant au nom du village de Crest il y a débat sur ses origines. La plus attrayante et la plus poétique veut que Crest soit un dérivé du Latin pour désigner la  « crête » d’un oiseau. C’est celle que nous retiendront car ainsi ,vu de loin, le village médiéval semble grimper vers cet étrange créature que l’on atteint à pied par des ruelles qui serpentent jusqu’au sommet.

Fiona McClean, une Anglaise, n’est pas la première artiste à s’installer à Crest. Pendant de longues années le village a été le lieu de résidence du peintre Albert Voisin (1905 – 1994) ou Vanber, le nom avec lequel il signait ses toiles. Avec d’autres collègues de renommée internationale parmi lesquels André Lhote, Sonia Delaunay, Albert Gleizes qui étaient ses amis ils formeront un groupe actif au sein du mouvement cubiste et ils  participent régulièrement au Salon Art et Jeunesse de Crest dont Vanber était le cofondateur. Celui-ci a laissé une œuvre importante d’huiles et de gouaches, figuratives et abstraites, très colorées ainsi que des collages remarquables composés de toutes sortes de matériaux y compris des lambeaux arrachés à des affiches urbaines. Ses œuvres font partie de la collection du Musée de Valence. La tradition artistique de Crest est aujourd’hui assurée par quatre galeries: le Centre d’Art Crest, la Galerie Espace Liberté, la Galerie Duvert et la Galerie Girouette ainsi que par les artistes – dont Fiona Mcclean – et artisans qui ont choisi de s’y installer.

*Impression subjective et personnelle!

FIONA McCLEAN

Une œuvre d’art peut prendre le spectateur au dépourvu et même produire un choc lorsqu’elle reflète des émotions  subconscientes de joie, de peur, de compassion, de tendresse ou d’horreur. Tous les artistes ont eu l’expérience d’un visiteur dans une galerie ou dans leur atelier qui s’arrête devant une œuvres et souhaite à tout prix l’avoir. Une telle réaction va au-delà du simple attrait esthétique comme si elle touchait à un sentiment intime que le spectateur reconnaît et souhaite retenir. Le critique d’art anglais Kenneth Clark n’a-t-il pas écrit « …que des valeurs immatérielles peuvent se révéler dans le  visible…je suis persuadé que la majorité des gens ont le profond désir de ressentir ce moment immatériel et purement désintéressé qui  fait éjaculer chez eux le mot merveilleux, et cette expérience ils peuvent mieux la ressentir à travers l’art qu’autrement. »

Fiona McClean est une artiste traditionnelle  accomplie, elle voit grand sans oublier les détails; c’est aussi une coloriste subtile et elle possède tout  l’arsenal requis d’un peintre professionnel. Mais ses dessins et ses tableaux ont quelque chose en plus. Ils captent l’essence même des sujets qu’ils reproduisent et c’est là sans doute la raison pour laquelle ils donnent souvent à celui ou celle qui les regarde cette impression de ressenti profond auquel Kenneth Clark fait allusion.

Qui est Fiona McClean? Apprendre à connaître le parcours d’une artiste et les motivations qui l’ont conduit à se consacrer à l’art est toujours un exercice intéressant et instructif, et c’est aussi plus généralement une manière de mieux comprendre le rôle de l’art dans sa vie et inversement. Fiona a bien voulu accepter de répondre à mes questions.

Quand est-ce que tu as décidé de devenir une artiste et pourquoi?

A l’école j’aimais beaucoup dessiner et peindre et mon prof de dessin ainsi que mes parents m’encourageaient dans ce sens. Il arrivait souvent à ce professeur de dessin d’installer des natures mortes insolites comme le jour où il est arrivé avec un lagopède (une espèce d’oiseau) empaillé ce qui ne manquait pas de constituer un véritable défi et pour moi une source d’inspiration. Ce qu’il m’a raconté sur la vie de Van Gogh m’est resté et sera aussi plus tard la raison pour laquelle j’ai décidé de me consacrer à la peinture.

Pendant des périodes de maladie peindre et dessiner m’ont permis de mieux me concentrer et de me fixer des objectifs bien définis. Ce sont deux activités qui me procurent une satisfaction personnelle parce que cela me permet de transformer mes sentiments et mes pensées en peinture et d’avoir la possibilité de les partager avec d’autres.

Comment as-tu appris à peindre?

J’ai fait des études aux Beaux arts à une époque où l’art conceptuel était jugé supérieur à l’art figuratif. Comme j’avais manifesté de l’intérêt pour l’écriture mon mentor me conseilla d’arrêter de peindre et d’écrire à la place. Je me suis mise a produire des représentations en m’inspirant de courtes pièces de théâtre que j’avais écrites. Mais une fois mes études à l’université terminées j’ai ressenti un profond besoin de reprendre ce qui me tenait le plus à cœur, la peinture. C’est alors que j’ai rencontré un homme qui est devenu un ami et mon mentor, ce qu’il l’est resté jusqu’au jour d’aujourd’hui. En échange des services que je lui rendais pendant ses ateliers de peinture il me donnait du matériel d’art et il m’invitait à participer à ses cours de dessin et de peinture. Ce paradis durera une année. Je pris également part à des cours de peinture dans le cadre d’une formation pour adultes ainsi que des stages de modèle vivant, etc. mais ce qui a surtout compté c’était de peindre le plus souvent possible.

Quand est-ce que tu as commencé à exposer?

Je n’ai pas exposé avant la trentaine. A l’époque je gagnais ma vie en travaillant comme graphiste pour une organisation caritative. Mes ennuis de santé persistant la peinture prendra pour moi encore plus d’importance. Heureusement, et grâce aux progrès de la médecine ma production ne cessera d’augmenter. Je me sentais de nouveau au paradis. Pendant un temps j’ai exposé partout où je pouvais trouver un espace, que ce soit dans une grange ou dans une église. Et puis je me suis décidée de faire la tournée des galeries de Londres. La première à accepter mon travail a été la New Grafton Gallery où pendant huit années j’ai régulièrement exposé jusqu’à mon départ en France. J’ai également exposé dans une autre galerie Londonienne.

Tu es auteur en même temps que peintre. Est-ce que tu as le sentiment qu’il y a une  interaction entre ces deux modes d’expression?

A l’âge de 21 ans j’ai délibérément pris la décision d’écrire un jour un roman. Au cours des trois années pendant lesquelles je me suis arrêtée de peindre en 2011 je me suis consacrée à l’écriture et j’ai écrit deux romans. L’écriture et la peinture n’étaient pas compatibles. Je me sentais incapable de faire les deux à la fois. Bien que mon écriture soit visuelle car je fais grand usage de métaphores, chez moi les deux activités se neutralisaient. Les romans une fois terminés je me suis remise à peindre. C’est durant cette période que j’ai  perdu ma mère. C’était une personne très créative qui faisait des broderies et des tableaux à huile extrêmement détaillés et d’une grande finesse. Ma mère suivait de près mes expositions et souvent j’apprenais plus tard qu’elle avait acheté une toile sans me le dire. Après sa mort ma manière de peindre a changé. Je suis passée de toiles mi-figuratives à un travail tout à fait réaliste en entamant une série sur des chaises et sur des intérieurs.

Quelle est ta méthode de travail?

Mes sujets dépendent de ce que je ressens qu’il s’agisse des intérieurs des maisons que je visite ou de paysages. J’éprouve alors le besoin de les consigner en peinture afin de pouvoir partager mon expérience. Souvent je fais des dessins du sujet avant de le peindre. Dessiner me permets de rapidement capter la lumière et l’image. Cela m’aide aussi à décider de la composition. J’utilise un crayon et une variété de papiers lorsque je travaille dans un intérieur et pour les paysages de la peinture à l’huile et un pinceau fin.

  

Je favorise la peinture à l’huile car elle sèche lentement et je peux ainsi travailler pendant plusieurs semaines sur un tableau. Bien que je j’essaye de reproduire les couleurs qui sont devant moi, mes choix sont parfois arbitraires afin de pouvoir m’exprimer avec plus de force.

Je travaille souvent avec mon chat sur les genoux dans le grenier de ma maison en écoutant de la musique. Comme l’éclairage dans cet atelier est faible  j’utilise des ampoules lumière du jour. Je passe le plus de temps possible à créer des sujets qui me motivent. Chaque fois je me fixe un défi en choisissant un sujet différent du précédent et fréquemment plus complexe ce qui m’oblige à faire un plus grand nombre de dessins préparatoires. En règle générale je travaille sur un seul tableau à la fois mais plus récemment j’ai entrepris d’en faire deux ou trois en passant de l’un à l’autre.

Que signifie pour toi la peinture?

Pour moi, la peinture est vitale. Je pense souvent qu’elle a sur moi le même effet bénéfique que la méditation en m’astreignant à être très concentrée. Mais c’est aussi un moyen pour exprimer des expériences et des émotions complexes.

Quels ont été pour toi des moments importants?

Pendant un temps j’ai travaillé dans un hôpital à Oxford avec des personnes ayant une invalidité physique en leur donnant des moyens de canaliser leur créativité et d’exposer leur travail.

Et puis, il y a eu la surprise d’apprendre qu’un de mes tableaux avait été accepté par le Salon d’Automne à Paris en 2016. Pendant quelque temps je planais littéralement, j’étais aux anges. C’était merveilleux de pouvoir partager cette expérience avec mon mari et nous avons transporté ensemble ce grand tableau par train, par le métro et en taxi jusqu’aux Champs Elysées!

En ce moment je prépare une exposition individuelle qui aura lieu en 2019 au Centre d’Art, Espace Chabrillan, Montelimar.

Photo de Crest – courtoisie

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