LE VILLAGE DE CHAROLS
Charols se trouve à 18 km à l’est de Montélimar. Le village compte environ 800 habitants dont un grand nombre habite dans des lotissements aux alentours. Toutefois, le vieux village, quoique pas très grand, est encore bien préservé: un petit labyrinthe de ruelles étroites, bordées de maisons en pierre qui s’entrecroisent et dont les fondations remontent au moyen âge. En plein centre, L’Eglise Saint-Jean Baptiste qui date du 11ème siècle est un bel exemple d’art roman qui mérite bien une visite.
Depuis des temps immémoriaux, Charols est un lieu de passage sur la route qui relie le nord et le sud et elle connait aujourd’hui une forte fréquentation pendant la saison estivale par les vacanciers qui souhaitent éviter la circulation surchargée de l’autoroute A7 dans la vallée du Rhône à quelques kilomètres de là. Au rond point, en traversant le village, il est difficile de ne pas remarquer la porte-cochère en bois massif qui donne accès à une vaste bâtisse en pierres. Autrefois, c’était une auberge, une halte pour les diligences avec des facilités d’accueil pour les voyageurs et dans sa cour des écuries pour les chevaux. Son propriétaire actuel est un Hollandais. Il est également artiste plasticien et les raisons qui l’ont amené à s’y installer ainsi que son travail en tant que peintre sont le sujet de l’article de blog de ce mois-ci.
*Référence au conte de Rudyard Kipling « Le chat qui s’en allait tout seul »
ALBERT VAN GULIK
L’histoire de Albert van Gulik est celle d’un peintre qui, ayant voyagé à travers le monde pour trouver un havre de tranquillité propice à son inspiration, découvre ce qu’il cherchait dans la Drôme. Comme beaucoup d’artistes Albert était parvenu à un tournant dans sa vie et il ressentait un profond besoin de déployer ses ailes pour explorer de nouveaux horizons et améliorer ses perspectives sur un plan artistique. Ses études aux beaux arts une fois terminées, il s’installe comme artiste peintre indépendant à s’Hertogenbosch aux Pays-Bas. Pour les amateurs d’art, il est peut-être intéressant de noter que c’est dans cette même ville que le grand peintre Jérôme Bosch exécutera au XVème siècle nombre de ses chef d’œuvres extraordinaires (et peu rassurants,) dont le célèbre triptyque Le jardin des délices, Le jugement dernier, La Nef des fous, etc. Après un trentaine d’années durant lesquelles Albert s’impliquera à fond dans diverses activités liées à l’art, exposant en Hollande mais aussi à l’étranger à Singapour, Bangkok, en Malaisie et au Nigéria, tenant même sa propre galerie, il prend conscience du risque pour lui de voir tarir son inspiration. La scène de la vie culturelle en Hollande devenait à son avis étouffante, et le climat humide l’empêchait de se sentir connecté avec son environnement, chose qu’il juge indispensable pour pratiquer son art. C’est ainsi, accompagné par sa femme Anne, qu’il entreprendra un voyage de prospection en dehors des frontières de son pays dans le but de trouver un endroit plus propice à la réalisation de ses ambitions artistiques.
Le hasard voudra que le point de départ soit Dieulefit dans la Drôme où le couple séjournait chez des amis, et c’est à Dieulefit qu’ils retourneront après avoir visité Singapour, la Malaisie et même la lointaine Nouvelle Zélande. C’est donc à la suite de ce grand détour qu’Albert en arrivera à la conclusion que la Drôme répondait à toutes ses exigences: beaux paysages, climat ensoleillé, partout les vestiges d’un long et riche passé, et la promesse d’une vie culturelle animée. Le couple se mit à la recherche d’un lieu proche de Dieulefit où s’installer et finit par tomber sur les ruines d’une ancienne auberge à l’entrée de Charols dont la toiture était sur le point de s’effondrer, les bois pourrissaient et les fenêtres tenaient à peine sur leurs gonds. Quoique la tâche s’annonçait colossale pour un homme qui envisageait de restaurer le bâtiment seul, de ses propres mains, Albert prendra la décision d’acheter le bâtiment.
Le fou hollandais, c’est ainsi que les villageois le surnommaient, en le voyant sans cesse charrier des matériaux, marteler, scier et soulever des poutres à l’aide d’une poulie pour soutenir le toit qui s’effondrait. Comme il était aimable et sociable, il ne tarda pas à nouer des contacts avec les habitants et bien que parlant à peine français, c’était tout juste assez pour saluer les gens et vaquer à ses propres affaires. Il se fera également un devoir d’assister aux évènements du village, de boire un pot au café du coin et en adoptant une stratégie sans doute plus efficace encore pour bien s’intégrer dans la communauté, il participera au jeu de boules avec les gens du village et se fera la réputation de bon tireur. Les travaux de restauration prendront sept longues années, ce qui constitue , il faut en convenir, un véritable exploit d’endurance tenace pour réaliser un rêve! L’ancienne auberge pouvait maintenant s’enorgueillir de pièces de séjour spacieuses et confortables, d’un vaste atelier et d’une galerie privée dans une des ailes qui soutient la comparaison avec ce qu’il y a de mieux dans une grande ville.
Depuis son installation à Charols il y a une quinzaine d’années, Albert passe sept ou huit mois dans ce hâvre d’art à peindre et à exposer des œuvres nouvelles. Le reste du temps il habite dans sa résidence de s’Hertogenbosch. Les visiteurs sont toujours bien accueillis dans son atelier où il se prête volontiers à des discussions sur l’art, sa passion.
J’ai interviewé Albert dans son bel atelier. Le soleil entrait à flots par deux hautes fenêtres et nous étions assis face à son chevalet sur lequel trônait une composition semi-abstraite encore inachevée. Dans la galerie attenante il y avait la présentation du projet auquel il travaille actuellement: les pages d’un livre reproduisant des tableaux sur les divers thèmes qui l’intéressent, exécutés au cours d’une vie consacrée à l’art et accompagnés de textes contenant ses réflexions. Les ayant collées contre les murs, il avait devant lui une vue d’ensemble sur son travail ce qui lui permettait plus facilement d’apporter des corrections et d’en modifier l’ordre.
Présentation Multimedia « Le Monde Intérieur du Corps – 1 »
Présentation Multimedia « Le Monde Intérieur du Corps – 2 »
Pour commencer, j’ai demandé à Albert de me dire pourquoi il peignait. Il a pris l’air étonné. Je ne comprends pas bien ta question. Que veux-tu que je te réponde?
Pourquoi as-tu choisi de devenir peintre?
Tu parles sérieusement? Pour peindre naturellement!
Notre conversation semblait mal partie. Albert heureusement fit signe qu’il souhaitait expliquer sa réponse.
Les gens et les intellectuels en particulier sont habitués à recevoir des réponses sur tout et n’importe quoi et ils s’imaginent que cela s’applique également à l’art. Mais ce n’est pas la raison, Dieu merci, qui explique sa signification!
Tu veux me faire croire que l’on ne peut pas discuter d’art? C’est une manière un peu facile d’éviter de répondre. Tu seras tout de même d’accord avec moi pour trouver qu’il est assez normal de vouloir comprendre un tableau?
Pour comprendre un tableau les paroles sont un obstacle car elles décrivent quelque chose que l’artiste cherche à transmettre de manière picturale. La peinture n’est pas la même chose que l’écriture qui est un moyen de communication ayant recours à un code conventionnel et limité. S’imaginer qu’il est possible d’utiliser des mots pour interpréter un tableau est dû peut être au fait qu’une peinture est composée de lignes, de formes et de couleurs qui sont tous des éléments nommables. Mais la peinture, comme la musique, exprime une émotion et les émotions appartiennent à une toute autre catégorie d’expérience.
Pourquoi quitter la Hollande pour t’installer dans la campagne française?
Pour être libre. Pour me sentir libéré des diktats de la scène artistique contemporaine qui ont transformé l’art en une vaste machine à sous, alimentée par des artistes qui ne font que suivre les dernières tendances de la mode et sont jugés en fonction des ventes qu’ils génèrent. Tu n’as jamais remarqué comment des œuvres considérées innovantes à une époque donnée paraissent datées dix ans plus tard? Je ne dis pas que toutes ces œuvres sont nécessairement mauvaises mais plutôt qu’elles ont été influencées par le goût du jour et de ce fait manquent en partie d’authenticité. Moi, j’ai ma propre galerie, je suis indépendant et donc moins susceptible de perdre mon intégrité en tant qu’artiste. Je crois aussi que l’art et l’isolement font bon ménage.
Il y a des artistes qui peignent des paysage – entre parenthèses tu en fais de très bons – d’autres sont portraitistes, d’autres encore réalisent des compositions abstraites. Tes tableaux contiennent des éléments de chacun de ces genres mais on n’arrive pas à te classer dans l’une ou l’autre catégorie. Tu qualifies tes expositions de thématiques. Tu veux bien me dire ce que tu entends par là?
J’ai beaucoup réfléchi à ce que cela signifie d’être un être humain, sa place dans l’univers, comment nous communiquons, ce qui nous rapproche et ce qui nous divise, les relations entre les hommes et les femmes. Mes tableaux touchent à toutes ces questions et d’une certaine manière à mesure que j’avance et une fois terminés en les regardant j’ai la perception d’une vérité que je ne parviens pas à exprimer avec des mots. Donc, je continue à peindre en espérant approfondir ma compréhension de la condition humaine.
Ayant fourni cette réponse, Albert m’invita à le suivre dans la galerie où les pages de son livre contenant des reproductions de son travail et des textes pour les accompagner recouvraient entièrement un mur de 30 mètres de long. Le spectacle était révélateur. Je m’approchais de plus près des images, je lus certains textes et je me rendis soudain compte que pour vraiment apprécier le travail d’Albert il ne suffisait pas de regarder séparément chacune de ses œuvres. Présentées ainsi elles formaient un ensemble cohérant et constituaient une quête visuelle pour arriver à mieux comprendre des vérités qui touchent à la naissance et à la mort, aux répressions de la société et de la religion, à l’effet corrupteur de l’argent, l’influence des vogues passagères, etc. Et, comment elles l’affectaient personnellement. Face à certains tableaux le spectateur se voit confronté à un art brutal de réalité et de désespoir tragique tandis que d’autres dépeignent des aspirations romantiques inatteignables. L’incapacité de tout comprendre étant le sort de chaque être humain, Albert continuera à peindre et chaque fois peut-être il s’approchera un peu plus de la réponse qu’il cherche à faire apparaître dans ses tableaux.
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