NB Au départ, en créant ce blog, j’avais l’intention de le consacrer uniquement à la peinture. Mais je me suis vite rendu compte que cela ne me suffisait pas. Ce qui m’intéressait vraiment c’était de rencontrer, au cours de mes balades artistiques dans la Drôme, des créateurs dans un sens plus large, des personnes qui font usage de leur imagination, de leur inventivité, de la part de poésie qu’elles ont en elles. De ce point de vue, la Drôme est une région bénie car elle réunit, à mon avis, un nombre insoupçonné d’individus dont les œuvres sont une source d’enrichissement culturelle. Je souhaite donc, quelque soit leur art, en rencontrer le plus possible pour parler de leur travail et connaître leur parcours afin ensuite de partager ce que j’ai découvert et appris avec les lecteurs de ce blog.
LE POËT LAVAL
Cet été, au mois d’août, la galerie Craft espace de Dieulefit a eu l’excellente idée de réunir au château du Poët Laval trois artistes qui réalisent un travail un peu différent de ce qu’on a l’habitude de voir dans les expositions habituelles. Le cadre était exceptionnel. Construit au 12ème siècle, à l’époque des croisades, par les Hospitaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem le donjon domine le vieux village de nos jours fidèlement restauré et classé de ce fait parmi « Les Plus Beaux Villages de France. »
C’est donc dans ce lieu dont les murs en pierre parlent d’un riche passé que les trois artistes ont exposé leurs œuvres. Le thème choisi, « Histoires d’art, » avait pour volonté de faire revivre l’histoire du lieu et en même temps rappeler le passé artisanal du territoire du Poët Laval. Avec les collages de Anke de Vries et les statues quasiment grandeur nature de robes de femmes en céramique de Jeannie Lucas c’est un regard posé sur le rôle de la femme à travers les âges qui a été mis en évidence. Les œuvres de Jeannie Lucas rappelaient aussi que depuis l’époque gallo-romaine la vallée du Jabron qui coule au bas du village est connue pour ses carrières d’argile et qu’elles ont été exploitées par des générations et générations de potiers. Patrick Ducré qui est vitrailliste sera le sujet du blog de ce mois-ci. Ses œuvres exposés au Poët Laval remettaient en mémoire qu’autrefois il y avait ici une importante activité verrière en raison de la qualité du sable de la région et des nombreux chênes blancs, hêtres et pins dont la qualité des cendres est d’importance pour la bonne fusion du verre et pour déterminer le degré de sa transparence.
Contempler un vitrail lorsque la lumière traverse le verre, liquéfiant les couleurs en leur donnant la qualité scintillante de joyaux est une expérience esthétique rare. Les peintures à l’huile, à la détrempe, à l’acrylique et même à l’aquarelle avec ses transparences, parviennent rarement à égaler une telle richesse et profondeur de teintes. Il y a de la magie dans le verre, surtout lorsqu’on considère de quoi il est composé et ce que les vitraillistes savent en faire. Ses origines ? L’historien romain Pline l’Ancien prétend que des naufragés phéniciens en avaient fait la découverte en posant sur la plage un pot pour cuire un repas sur un bloc de sel qu’ils avaient récupéré de leur navire échoué. Le lendemain matin la chaleur du feu ayant fondu le sel, sa masse refroidie coagulée avec le sable, s’était transformée en verre. Pline se trompe car on connaît le verre depuis la nuit des temps mais il décrit correctement sa composition qui est à la base un mélange d’oxyde de silicium, le constituant du sable et de chlorure de sodium (sel).
L’artisan-artiste Patrick Ducré – car il est les deux à la fois – du fait qu’il est amené à réaliser des travaux de restauration de vitraux apprécie sans doute mieux qu’aucun autre ce qu’ils ont de particulier et d’extraordinaire comme le sont ceux du moyen âge. Le style gothique qui succède au roman au 12ème siècle aura été une période révolutionnaire pour l’architecture et l’art et il annoncera, pour le verre peint, un âge d’or d’une incroyable richesse. Grâce à la découverte des moyens pour alléger la structure des cathédrales en construisant des voûtes croisées et des arcs-boutants pour soutenir l’édifice il sera dorénavant possible de pratiquer de grandes ouvertures en verre dans les murs pleines d’images colorées représentant des scènes des Ecritures pour éclairer les fidèles. Les éblouissantes rosaces de Notre Dame de Paris du 12ème siècle ou les vitraux de la cathédrale de Chartres du 13ème parmi bien d’autres en sont de merveilleuses preuves. A partir de cette époque, l’art du vitrail connaîtra un grand essor qui perdurera jusqu’à nos jours. Pour ne prendre que quelques exemples, le travail du verre et l’Art Nouveau, de l’Art Déco, les splendides créations de Matisse, Gaudi, Chagall, etc. …. Sans oublier naturellement la « Cathédrale toute en volutes où le vent chante comme une flûte« * la cathédrale de Metz. Ses structures en verre recouvrent une surface de plus de 6000m2, la plus vaste étendue au monde et le lieu de culte le plus lumineux de France. Mais, en plus des vitraux anciens on y trouve également ceux de grands maîtres contemporains comme le sont Jacques Villon, le frère de Marcel Duchamp, Roger Bissière ou Marc Chagall.
Dans la Drôme, le nombre de vitraux préservés antérieurs à la Révolution ne compte malheureusement plus que deux ensembles: non loin de Valence, ceux de l’église de Manthes du 14ème siècle qui représentent Saint Pierre et Saint Paul ainsi que ceux du château de Chavanne qui remontent au 15ème. Par contre, une très belle réalisation d’art contemporain se trouve à Grignan. Il s’agit d’ une œuvre minimaliste de l’artiste Belge Anne Veronica Janssens à qui il a été demandé « une mise en lumière » de la chapelle romane de Saint Vincent qui remonte au 12ème siècle. Elle a réalisé la commande en concevant des vitraux en une seule plaque et en une seule couleur, mais différentes pour trois des quatre fenêtres, la dernière étant blanche. Ces plaques sont placées en plein centre de la fenêtre mais légèrement plus petites de manière à laisser filtrer la lumière naturelle comme un halo autour du vitrail. L’effet obtenu est une luminosité d’une qualité exceptionnelle qui répond parfaitement aux exigences de la commande faite à l’artiste.
*Extrait de « Ode à Metz » de Paul Verlaine
PATRICK DUCRÉ
« Sculpteur de lumière, » lorsqu’on lui pose la question c’est bien ainsi que Patrick Ducré souhaite se définir. Son parcours avant de s’installer depuis peu à Montboucher-sur-Jabron comme artisan vitrailliste est passé par plusieurs phases dont certaines avaient peu de rapport avec son art et sa passion d’aujourd’hui. J’ai voulu en savoir plus et voici ses réponses à mes questions:
Tu as fait pas mal de choses dans ta vie. Comment en es-tu arrivé à devenir vitrailliste ?
C’est à la fois le choix d’être séminariste (au grand désespoir de ma maman qui voyait partir « l’homme de la maison », mon père étant décédé) et le hasard d’une rencontre avec un vitrailliste à une sortie du séminaire à Paris qui ont eu une influence sur mon destin. Nous avons sympathisé et il a bien voulu m’enseigner les premières bases de l’art du vitrail. Au séminaire nous n’avions des vacances que trois fois par an, à Noël, Pâques et pour les grandes vacances d’été. Durant ces périodes d’absence nous avions l’obligation de faire signer un petit carnet par les prêtres des églises où nous étions tenus d’aller tous les jours pour servir la messe. Ma maman était une grande voyageuse et j’ai ainsi eu l’occasion de voir de nombreuses églises en différentes régions de France et de Belgique. Cette diversité et en même temps l’uniformité selon les époques au cours desquelles ces églises furent construites ont été mes premières leçons et mes premiers liens avec le vitrail.
Au séminaire, j’étais également devenu l’animateur hebdomadaire de nos soirées du samedi et je me suis vite accroché au théâtre. A la sortie du séminaire je suis devenu comédien, puis metteur en scène, puis directeur de théâtre. Entre d’autres, j’ai été le directeur du Train-Théâtre à la porte de Valence, un très beau lieu de 500 places qui est devenu une scène conventionnée avec l’état. J’y ai connu de grands succès, des moments de grande liberté, inventant, créant de nombreux espaces nouveaux de rencontres entre les artistes et le public. Dans une certaine mesure je remplissais ainsi mon « rôle de prêtre » en réunissant des publics autour d’une « parole. » Je suis monté encore plus haut dans la hiérarchie en acceptant de devenir directeur et administrateur de plusieurs théâtres ce qui impliquait de faire de la politique et un gros travail de gestionnaire. Ces contraintes m’ont amené à quitter le monde du théâtre et de reprendre le travail de vitrailliste. J’ai eu la chance de rencontrer à ce moment là, à Beaucaire près de Arles, une maître vitrailliste et elle cherchait un assistant.
Les vitraux comprennent des lignes, des couleurs, des formes. Tu aurais très bien pu devenir peintre. Pourquoi choisir le travail du verre. L’attirance est-elle due au côté artisan et manuel, à la matière, ou à autre chose encore ?
Très jeune j’ai beaucoup fait de peintures, de dessins. Je ne me suis jamais vraiment arrêté tout au long de mes diverses aventures. C’est facile, il faut juste du papier et des couleurs, je crois que tu connais ça aussi. Si j’ai cette attirance pour le vitrail c’est à cause de la lumière, l’essence du vitrail est la lumière et la couleur. Lorsque j’étais directeur de théâtre j’ai connu un régisseur qui s’était donné le titre de « sculpteur de lumière. » Je trouve ça très beau et j’y ai toujours été très sensible. Ce que je cherche aujourd’hui dans mes « objets lumière » c’est précisément à piéger la lumière, rusant avec la transparence et l’opacité, jouant avec les reflets, révélant les couleurs, les suggérant, les doublant pour jouer sur leurs propres effets de profondeur tout en racontant une histoire, évoquant une émotion, un sentiment.
Qu’est ce qui distingue d’après toi l’artiste vitrailliste de l’artisan vitrailliste ?
La différence que je fais maintenant entre l’artisan et l’artiste est assez fine. L’artisan crée des objets utiles, des vitraux, des lampes….L’artiste ne vise que la création sans autre considération. La nuance est parfois délicate, il existe des artisans vitraillistes qui créent des vitraux contemporains qui sont d’authentiques créations, certains d’entre eux dans d’autres pays sont entrés dans les musées, même si les objets servent à orner une fenêtre, où qu’elles soient: églises, châteaux, maisons, je suis en admiration devant certains d’entre eux par leur force de créativité. Je conseille à ce propos de voir le site suivant.
Tu as été au petit séminaire et tu as visité de nombreuses églises. Y-a-t-il eu au départ une forme de spiritualité dans ta démarche ?
Hélas, concernant la spiritualité les bons prêtres du séminaire m’ont dégouté à tout jamais des coutumes religieuses. Je pratique maintenant une technique de méditation centrée sur la respiration « en pleine conscience » qui m’aide à me recentrer sur moi-même, à aller à l’essentiel. Mais la pratique du vitrail est en soi également une « méditation. » Autant en peinture on a assez rapidement le résultat de son travail, autant dans le travail du vitrail chaque étape demande une grande concentration et chaque étape est parfois longue, exigeant une grande précision: découpe des gabarits, découpe des morceaux de verre, rognage et meulage, peinture au four, montage des plombs, soudure, ce n’est vraiment qu’au bout de toutes ces étapes que l’on voit le résultat de son travail. Il y a donc un long moment de concentration intense sans que l’on voit le résultat, ce qui est comme une pratique de « méditation. »
Tu utilises les mêmes outils que les artisans d’autrefois alors que les techniques modernes (les impressions en 3D par exemple) sont telles qu’on pourrait obtenir des résultats plus rapidement et qui sait innovants ?
Tu as raison, je suis d’ailleurs attiré par les nouvelles techniques que je pratique peu, la fusion totale du verre et d’autre techniques qui permettent d’imaginer encore d’autres objets d’art contemporain de demain. C’est l’outil qui crée la main, pas le contraire! Ces outils sont d’autant plus précieux qu’ils sont simples et pour la plupart très anciens. Le ciseau triple lames pour découper les gabarits en carton, le diamant pour couper le verre, les pinces à gruger ou à rogner le verre, les couteaux à la lame courbe et l’ouvre plomb, le fer à souder, tous existaient déjà pratiquement sur les mêmes principes au moyen âge.
Pourquoi venir t’installer dans la Drôme et quels sont tes projets pour l’avenir ?
Le retour dans la Drôme c’est un retour dans une terre où j’avais rencontré beaucoup de personnes, artistes, techniciens, spectateurs, animateurs sociaux ou culturels, élus, et je trouve assez drôle de faire un petit signe à tous ces amis par mon retour dans un autre rôle. L’impression de boucler quelque chose !
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