Sylvie Verschoote – « Les tableaux, ça ne sert strictement à rien d’autre qu’à se faire du bien ! »

PONT-DE-BARRET

Le Rhône est la frontière naturelle entre les Départements de l’Ardèche et de la Drôme. Les paysages des deux côtés du fleuve sont très différents : une rangée de montagnes crénelées longe l’Ardèche alors que côté Drôme le pays s’ouvre sur des plaines qui s’étendent, avec ici et là, quelques hauteurs, jusqu’aux lointaines Préalpes.

Le village médiéval de Pont-de-Barret (700 habitants) se trouve à une trentaine de kilomètres à l’est de Montélimar au bout de la Plaine de la Valdaine.  Niché au creux d’un hémicycle formé par trois montagnes, St Euphémie, l’Eson et la Briesse le village est construit à flanc de colline au sommet de laquelle se dresse une église romane. Avec un peu d’imagination la haute façade de Notre Dame de la Brune qui date du 12ème siècle ressemble à une mitre épiscopale dont le porteur veille sur les habitants du village. Ses fondations remontent au 9ème siècle mais c’est surtout pendant les 11ème et 12ème siècles que l’agglomération s’agrandira. Aux pieds du village, après s’être faufilé par une gorge dans la montagne, coule le Roubion, bordé de maisons et traversé par un vieux pont en pierre dont Pont-de-Barret tire son nom. Ce cours d’eau explique pourquoi il y avait autrefois à quelques centaines de mètres du site actuel une importante cité gallo-romaine. Bien des siècles plus tard, au cours du moyen-âge, des moulinages actionnés par la force du courant serviront à tordre et à nettoyer la soie, un rappel que dans la Drôme se pratiquait à grande échelle l’élevage du vers à soie pour fournir en matière première les célèbres soieries de Lyon. Dans tout le Département on les élevait dans des magnaneries en les nourrissant avec des feuilles de mûriers. Les anciens se souviennent encore du temps quand dans de nombreuses fermes un espace était réservé à cette fin pour en tirer un modeste revenu. A Pont-de-Barret, jusque dans les années soixante lorsque les fibres synthétiques viendront remplacer les fibres naturelles, cette industrie florissante employait une centaine d’employés. L’ancien bâtiment aux hautes fenêtres voûtées des moulinages est toujours là mais sa vocation a changé du tout au tout. Il est aujourd’hui devenu un foyer bourdonnant d’activité, entièrement dédié à l’art et à l’artisanat !

Tout a commencé en 2004 lorsque Delphine Petit, peintre murale et restauratrice d’objets anciens arrive à Pont-de-Barret et s’installe dans les locaux du moulinage. Avec une artiste vitrailliste qui habitait alors le village, les deux femmes décident de travailler en collectif. L’initiative portera ses fruits. Au fur et à mesure du temps d’autres artistes se joignent à elles et aujourd’hui le collectif qui a été baptisé « le Quai » compte non moins de vingt artisans et artistes qui participent avec enthousiasme à l’aventure. Ils sont peintres, céramistes, illustratrices, une couturière, un musicien qui est en même temps plasticien et clown, une danseuse. Chacun travaille dans l’indépendance mais ensemble ils participent à des projets communs et organisent des expositions et des évènements qui connaissent un grand succès.

SYLVIE VERSCHOOTE

C’est parmi les artistes tombés sous le charme de Pont-de-Barret que j’ai redécouvert Sylvie Verschoote. J’avais tout suite été séduit il y a quelques années par son travail. Elle exposait alors une belle série de monotypes abstraits. Vus à distance ils me faisaient un peu penser à Paul Klee. En m’approchant de plus près la composition affirmée et la manière dont l’artiste avait su combiner les couleurs m’ont frappé. En même temps ils semblaient fidèlement traduire l’émotion qui les avait engendrés, ce qui en fin de compte est le propre d’un art qui se veut authentique. C’est du moins ainsi que je l’ai ressenti.  Ayant décidé de créer mon Blog, Sylvie figurait parmi les artistes à qui j’ai immédiatement pensé. Cependant, quelques années s’étant passées depuis ma visite à son exposition, je craignais qu’entre-temps elle n’ait quitté la Drôme. Fort heureusement ce n’est pas le cas et elle a bien voulu accepter d’être l’artiste de l’article de blog de ce mois-ci.

Sylvie habite, non loin du village de Pont-de-Barret, une grande et vieille ferme située dans un beau paysage de plaine, frangée de montagnes. J’ai pris rendez-vous avec elle. En arrivant devant le corps de bâtiments en vieilles pierres apparentes une petite tour semblait indiquer qu’autrefois la ferme avait été fortifiée. Aujourd’hui plusieurs familles y résident. La partie occupée par Sylvie, qui m’accueille chaleureusement, est spacieuse et confortable. Ici on fait aussi de la musique comme en témoignaient un piano et un clavecin dans une des pièces que nous traversons. L’atelier de Sylvie face nord est assez grand et bien éclairé avec aux murs de nombreux tableaux dont certains, pas encore achevés, attendaient un dernier coup de pinceau. Des abstraits côtoyaient des natures mortes réalistes, et étalés sur une table de travail deux portraits d’ancêtres que Sylvie reproduisait en peinture à partir de photos anciennes. Malgré cette diversité, il ne faisait aucun doute que toutes ces œuvres étaient de la même main. Ce qui impressionnait c’était la parfaite maîtrise de techniques diverses. Les artistes professionnels se reconnaissent souvent à un style déterminé et ils ont tendance à s’en tenir à une seule technique pour ne pas embrouiller l’esprit des galeristes, de la critique et des acheteurs. Il est sûr que dans la société de consommation d’aujourd’hui il y a une tendance à considérer l’œuvre d’art comme un produit et le style unique comme une garantie de qualité. Sylvie Verschoote ne prête aucune attention à ce genre de considération, bien au contraire !

Sylvie Verschoote a acquis ses connaissances en choisissant dans sa vie de s’engager et d’étudier à fond une variété d’expériences. D’un côté elle a suivi une formation universitaire dans le domaine des sciences sociales alors que dans celle des arts elle est à 100% autodidacte. Ce mélange de genres est intéressant et il fait comprendre la conviction de Sylvie que des artistes véritablement créateurs font des œuvres dictées par leur cœur et qu’ils évitent de simplement répondre à ce que l’on attend d’eux. L’important pour elle est de bien faire !

Je ne m’étais pas attendu à découvrir que Sylvie utilisait différentes techniques avec autant de bonheur. Le contraste entre ses natures mortes naturalistes peintes en acrylique et les monotypes était saisissant. Dans le premier cas les sujets sont classiques, simples et rendus avec précision : cinq poires jaunes posées devant une bouilloire bleue de Prusse sur fond de bleu ultramarin, ou encore trois pommes, l’une rouge, l’autre jaune, la troisième légèrement flétrie derrière lesquelles on distingue le col d’un bol également en bleu de Prusse. Et pourtant, entre les œuvres réalistes et les compositions abstraites il y a des concordances. C’est chaque fois la couleur qui modèle l’objet et elle détermine aussi la composition, et, que ce soit pour l’une ou l’autre technique le motif envahit complètement le tableau. On ne peut que constater, malgré la différence des deux modes de peinture, que la signature artistique reste la même. Elle l’est aussi pour les petits tableaux poétiques que Sylvie réalise de recoins perdus dans sa demeure, presque des esquisses tant elles donnent l’impression de spontanéité. Dans une autre série l’objectif sera de décliner la couleur bleue, etc. Quelle que soit la technique choisie Sylvie aura à cœur d’exploiter au mieux son potentiel d’expression artistique. Une telle diversité interpelle et elle est susceptible de déranger ceux qui pensent qu’un bon artiste doit s’exprimer à travers un style unique, comme une sorte de garantie de qualité. C’est une idée préconçue courante chez les galeristes comme dans le monde du marché de l’art, l’œuvre de l’artiste étant considérée comme un produit de marque commercialisable et reconnaissable par son style. Sylvie Verschoote échappe à cette tyrannie de l’uniformité et elle prouve remarquablement bien que la créativité de par sa nature même s’exprime de mille et une façons. Faire sa rencontre et admirer ses œuvres abstraites ou figuratives est une belle leçon d’art. J’ai voulu en savoir plus sur elle et sur ce qui l’a amenée à devenir une artiste.  Voici ses réponses à mes questions.

En quelques mots pourrais-tu décrire la chronologie de ta vie d’artiste. Enfant tu dessinais déjà ? Est-ce que tes parents t’encourageaient ? Je sais que tu n’aimais pas aller à l’école mais faisais-tu exception pour les classes de dessin ?

Oui, enfant je dessinais avec ma sœur qui avait un an et demi de plus que moi et avec qui je me sentais très proche. Mon père s’était procuré des crayons de couleur de belle qualité, des Staedler-Noris et des Caran d’Ache dont il me reste encore quelques uns, tout usés et raccourcis. J’ai également dessiné le portrait d’un ami, une grande personne alors que je n’avais que cinq ou six ans et qui a probablement été le seul portrait que j’ai réalisé pendant mon enfance. Mes parents étaient heureux que cette occupation nous tienne tranquilles et on dessinait alors des princes, des princesses et autres personnages tirés des contes de fées. A l’école j’aimais beaucoup le sport, la musique et le dessin ainsi que le français. J’aimais écrire car les paroles me permettaient de voyager au loin dans ma tête. Les autres matières comme le calcul en particulier ne m’intéressaient pas. En fait, les rares fois où j’ai bien travaillé à l’école étaient quand il y avait un lien spécial entre moi et un de mes professeurs., Dans les autres cas je faisais de la résistance passive. Pendant mon adolescence j’ai beaucoup dessiné des personnages inventés et bizarres sur mes cahiers d’exercices au lieu de faire mes devoirs.

Tu étais la petite dernière de la famille et tu avais à faire à beaucoup de « chefs. » Tu as réagi comment : en étant secrète, soumise ou rebelle ?

En devenant secrète pour me protéger et en même temps rebelle. Ma famille faisait partie d’une secte religieuse d’obédience protestante qui limitait les liens avec le monde extérieur et ils condamnaient les usages courants adoptés par les autres. Je ne comprenais pas que les règles ne soient pas les mêmes à la maison qu’ailleurs et je voulais « être comme tout le monde ! » La rébellion comme sauvegarde, comme instinct de vie, est venue progressivement avec le temps. Les interdits de toutes sortes qui apparemment ne s’appliquaient pas aux autres m’empêchaient de vivre ma vie et cela me révoltait.

Tu avais quel âge lorsque tu as quitté le milieu familial ?

J’avais un peu plus de 17 ans et je suis partie très loin. J’ai habité à différents endroits où j’ai tissé des liens par affinité avec des amis de cœur avec lesquels je partageais ma vie. Ils étaient mes égaux et les liens avec la plupart sont restés jusqu’au jour d’aujourd’hui.

Le besoin d’indépendance semble être un fil conducteur dans ta vie. La raison est-elle que tu souhaites être reconnue pour qui tu es et qu’en fin de compte cela t’a amené à être une artiste ?

Ce que tu dis est en partie vrai. Je me suis fabriquée un monde à moi dans lequel il y a de la tolérance, du bonheur, un idéal, de l’harmonie, de la liberté et de la beauté. La recherche de la beauté m’a orientée vers l’art et la musique. Je ne trouvais pas ma place dans la société et l’art qui est une activité marginale m’a donné la liberté et la possibilité de créer sans en être empêchée par des règles. Pour citer le poète : « Et vous, quelle est votre blessure ? » Ma blessure, sans l’ombre d’un doute, est devenue le moteur qui m’a permis de rassembler l’énergie dont j’avais besoin pour me recréer.

Tu as suivi des études de psychologie (peut-être pour apporter un peu d’ordre dans ton esprit après avoir vécu dans l’incohérence,) puis des études en psycholinguistique pour mieux comprendre comment fonctionne le cerveau (peut-être pour savoir pourquoi tu étais différente.) Mais finalement tu en es arrivée à la conclusion que le langage pictural était le meilleur moyen pour exprimer très directement qui tu es et ce que tu ressens ?

Le langage non verbal de la peinture et du dessin m’a tout à fait convenu pour m’exprimer de façon plus profonde et authentique. C’était une manière d’exister en accord avec mon vrai moi avec son énergie et son aspiration à un destin personnel, et pas comme l’enfant manipulé par les adultes.

A quel moment as-tu décidé d’être artiste à plein temps et quel a été le facteur décisif pour ce choix ?

Au moment de quitter l’université j’étais censée faire un mémoire de psycho sur la création artistique. Parallèlement, je gagnais ma vie mais la situation a changé lorsque je me suis tout à coup retrouvée au chômage. C’est alors que j’ai décidé de profiter de l’occasion pour me retirer pendant quelques mois dans un coin isolé pour peindre et dessiner afin de savoir si c’était ma voie, ou bien un rêve. Je suis partie avec ma petite voiture, direction les montagnes du Var dans le sud-est. J’avais choisi de limiter mes besoins au stricte nécessaire et de vivre sobrement près de la nature. Par exemple, armée d’une scie et d’une machette je partais dans la montagne chercher du bois pour me chauffer que je chargeais dans ma voiture. Je connaissais tous les bons et mauvais endroits de la forêt. Je devenais « sauvage » mais très vite je me suis sentie en paix et tout à fait à ma place. J’ai rencontré des personnes (peintres elles aussi) qui m’ont confortée dans mes choix. Je dessinais beaucoup et je travaillais des monotypes, souvent jusque tard dans la nuit. J’ai vraiment aimé ce silence de la nuit !

Ce qui frappe en t’écoutant c’est le nombre de fois que revient le terme « expérimenter. » C’est une approche scientifique plutôt qu’émotionnelle.

Expérimenter signifie pour moi rechercher quels sont les bons outils en les adaptant pour répondre à ce que je souhaite exprimer. N’ayant pas suivi d’enseignement artistique réel je me suis formée toute seule en explorant et en approfondissant différentes techniques afin de savoir lesquelles me convenaient le mieux. Je n’avais jamais travaillé que seule et par conséquent je traitais les monotypes d’une manière libre et inventive. J’avais aimé les surréalistes en littérature et leur monde poétique et indirectement je m’en inspirais. Ils étaient pour moi une sorte d’ancrage et de liberté.

Tu explores différentes techniques et aux vues des résultats non seulement tu parviens à très bien les maîtriser mais ils sont très réussis d’un point de vue esthétique. Tu donnes des cours de peinture et si j’ai bien compris tu encourages ceux qui les suivent à travailler librement. En échange, d’une manière détournée, leurs essais sont pour toi une manière d’explorer les possibilités de différentes techniques. Tu sembles poussée par un besoin d’aller au bout des possibilités de chaque technique et ce serait peut-être la raison pour laquelle tu passes de l’une à l’autre.

J’ai taché d’approfondir la connaissance de chaque veine tout en respectant la diversité. Je tiens à la diversité et je veux la découvrir dans toutes choses, y compris dans moi-même. C’est pourquoi je refuse de me cantonner à une seule façon de travailler. Nous sommes multiples et nous avons plein de facettes. Pourquoi ne pas les montrer ? Il y a un dicton qui me plaît beaucoup : « J’aime la soupe, la salade, le fromage et le gâteau au chocolat. Et, c’est toujours moi ».  C’est plus comme une alternance momentanée qui embrasse et la saison, et le temps qu’il fait, mon « humeur », ce qui traverse mon esprit. Tout cela est interconnecté. La technique sert uniquement à donner du sens et de la profondeur. Certaines choses affleurent davantage certains jours, je suis à l’écoute et je cherche à être en harmonie avec elles. La technique est un outil pour rendre cela perceptible, ne serait-ce que pour moi, et pour témoigner de la véracité de mes sentiments profonds.

Quelle est en fin de compte ta principale source de satisfaction, celle d’avoir su maîtriser une technique, d’en connaître les rouages, ou bien celle du plaisir esthétique que tes œuvres te procurent ?

Il y a sans doute un plaisir esthétique mais pour moi ce sera toujours lié à quelque chose de plus profond. Ce qui me touche c’est lorsque je sens une connivence avec un invisible intérieur. Sans doute une sorte d’émotion profonde et de sentiment d’avoir un lien avec l’univers.

 

 

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