En prenant la route qui serpente en montant à Truinas, le paysage se mue graduellement en un tableau de Noémi Adda. Altitude 650 mètres, distance de Dieulefit 10 km et à 31km de Montélimar. Peu de circulation et par endroits une voie qui se rétrécit laissant peu d’espace aux voitures qui se croisent. En passant devant une ferme un chien se précipite en aboyant à la poursuite du véhicule, puis vite essoufflé abandonne sa course. En soi, le village de Truinas n’a rien de remarquable, quelques maisons dont une est occupée par la Mairie qui veille sur une population de 130 âmes, ainsi qu’une petite église et un temple. En revanche, le paysage est magnifique, en particulier pour un peintre comme Noémi qui travaille sur le motif. En contrebas des montagnes et en partie sur les versants jusqu’à la limite où la nature reprend ses droits se dessine un patchwork de terres cultivées par l’homme depuis des siècles. L’air est pur et limpide ; la luminosité change rapidement lorsque le mistral chasse les nuages dans le ciel en projetant leurs ombres fugaces sur la terre, ou progressivement aux différentes heures du jour et lorsque le soleil passe et se cache derrière les montagnes.
C’est dans cet environnement exceptionnel que Noémi a choisi de s’installer, et en voyant la qualité et le nombre de ses tableaux on comprend aisément pourquoi l’endroit constitue pour elle une source inépuisable d’inspiration. Un habitant de Truinas dira : « Ses tableaux changent tout le temps ; c’est à la fois familier et jamais la même chose. Il y a une telle diversité alors qu’elle ne s’éloigne pas. » A première vue, les paysages de Noémi sont réalistes et ceux qui connaissent la Drôme reconnaîtront sans mal la région dans laquelle ils ont été exécutés. Il n’y a chez elle aucune volonté de déformation du sujet comme le font les expressionnistes, les fauvistes ou les cubistes. Noémi peint exactement ce qu’elle voit.
De toute évidence elle est un peintre de plein air qui se fond dans la nature avec la capacité de saisir, grâce à l’acuité de sa vision, l’essentiel des choses. On prétend que le travail d’un artiste est fondamentalement une projection de sa propre personnalité. L’artiste américain Edward Hopper aurait déclaré que lorsqu’il peignait un paysage c’était un dialogue avec lui-même qu’il reproduisait. Il m’arrive souvent de penser que les peintres en disent davantage sur eux-mêmes lorsqu’ils peignent des paysages qu’avec des autoportraits. Ayant admiré les beaux paysages de Noémi j’avais envie de la rencontrer pour en savoir plus sur elle. Nous avons fait connaissance, nous avons parlé et voici ce qu’elle m’a dit
Tu travailles en alternance à Paris qui est une métropole vibrante d’activité et dans le cadre paisible de Truinas dans la Drôme. Je pourrais m’imaginer que l’atmosphère dans les deux endroits étant tout à fait différente cela puisse avoir une influence sur ton travail. L’environnement est, en effet, tout autre, l’air que tu respires, tes rencontres, tes préoccupations, les sujets de conversation, d’autres visages, les styles de vie différents. A Truinas tu peins des paysages mais que fais-tu à Paris où le travail en plein air n’est pas possible ? Et puis j’ai peine à croire que tu trimballes tout ton barda, tes toiles, ton matériel d’un endroit à l’autre.
En effet, les seules choses que je trimballe sont les produits de mon potager ! Plus sérieusement…les sujets sont les mêmes, j’observe la nature et j’ai la possibilité de dessiner en plein air à Paris car j’habite à l’orée du bois de Vincennes. La différence concerne surtout l’espace dont je dispose car mon atelier y est plus petit et par conséquent les formats de mes tableaux le sont aussi. Le sujet en soi n’est pas ce qui compte le plus mais la façon de traduire mes émotions. Pour cela je pratique diverses techniques d’estampe comme le monotype ou le sgraffite, le dessin et le pastel à l’huile.
Tes peintures à l’huile de la Drôme sont étonnantes de vérité. Ce ne sont pourtant pas des reproductions conformes à un lieu spécifique mais l’expression de ce que tu ressens devant un motif spécifique. Comment fais-tu pour rendre ces paysages de la Drôme si vrais et si reconnaissables ?
La raison est peut-être que je ne cherche pas à déformer ce que je vois. Je m’efforce de rester fidèle à mon regard et à l’émotion qu’il suscite. Cette émotion est comme un débordement qui m’envahit jusqu’à me couper le souffle ; je ressens alors une urgence à l’exprimer.
Tu as commencé à travailler très tôt pour gagner ta vie. Etait-ce un métier qui était en rapport avec l’art ? Au fait est-ce que tu dessinais et peignais lorsque tu étais petite ?
Non, mon métier n’avait pas de rapport direct avec l’art si ce n’est que je travaillais dans l’édition en faisant des maquettes pour des ouvrages illustrés, ce qui est dans une certaine mesure un travail de création. Comme la plupart des enfants j’aimais beaucoup dessiner et peindre…mais j’ai perdu mon innocence, en d’autres mots, une naïveté, une spontanéité.
Si j’ai bien compris tu as montré tes œuvres une première fois à Paris. Ensuite c’est la galerie Artenostrum à Dieulefit qui te découvre et décide de te soutenir en organisant à intervalles réguliers des expositions de ton travail. Tu as également exposé à Tours, Besançon et en Ardèche.
La rencontre avec Artenostrum a été décisive en m’offrant la possibilité de donner une réalité à mon travail notamment par le partage avec les autres, leur regard et leur éventuelle estime qui peut se traduire par le désir de posséder une œuvre et de l’acheter.
Tu es autodidacte. Je suppose que tu as suivi ici et là des cours, étudié le travail d’autres peintres et aussi beaucoup expérimenté l’usage de différentes techniques. Je me souviens il y a quelques années avoir vu un de tes tableaux qui m’a fait penser aux paysages de Balthus. Il y avait aussi quelque chose d’un Corot, une forme de sobriété ! Est-ce que tu peux nommer quelques peintres qui t’inspirent ?
Il y a des peintres qui font envie. J’ai beaucoup regardé les paysages de Balthus. A Paris, un proche de ma famille était peintre. J’étais éblouie et ensorcelée par sa peinture que j’allais voir régulièrement dans son atelier. Je l’ai vu travailler pour avoir posé pour lui. Lorsqu’il peignait son regard était d’une extrême intensité, il semblait vouloir que rien ne lui échappe, il avait l’air d’un fou ! Il me disait que si je voulais me consacrer à la peinture je devais regarder, dessiner, regarder encore et dessiner toujours. Et, il avait raison. Sa femme aussi était peintre et dans son atelier nous posions à tour de rôle. Cette période a été déterminante pour moi. Je n’ai pas fait d’école d’art et ce que j’expérimentais seule était plus lent mais très enrichissant tout en étant un processus de maturation personnelle par mon engagement et mon endurance.
Quand je vois un Corot je suis très émue. Ces grands peintres m’intimident mais me donnent de l’appétit… Cézanne à la fin de sa vie peignant sans cesse la Montagne Sainte Victoire est un exemple parfait de renouvellement et de transfiguration de la réalité. Ses aquarelles qui datent de cette période frémissent de vie !
Dans tes tableaux sur internet -ceux des premières années- il y a des natures mortes, des arbres qui de toute évidence te fascinent, un chien, un ou deux moutons mais aucun être humain. Pourtant dans tes peintures on sent souvent la présence de l’homme ne serait-ce que par son ordonnancement de la nature à des fins agricoles. La figure et les traits du visage humain ne semblent pas t’intéresser.
Au contraire, ils m’intéressent beaucoup. J’ai posé pendant des années pour mon ex-mari qui est sculpteur. Il n’était jamais satisfait en travaillant alors que je trouvais ses sculptures très belles. Je vivais avec lui cette difficulté de se libérer de la ressemblance et du détail avec un modèle. Quand je me suis mise à peindre, j’étais très attirée par le portrait. Pendant une longue période j’ai fait des autoportraits, c’est un très bon exercice. Je dessine souvent les personnes de mon entourage, ce sont des moments intenses que j’adore ! C’est vrai qu’on ne voit personne dans mes tableaux. On m’a souvent demandé pourquoi. La raison est peut-être que c’est ma façon d’imaginer ces mêmes montagnes, les mêmes arbres, les mêmes lumières, les mêmes ombres tels qu’ils étaient dans un lointain passé, dans la nuit des temps.
Peux-tu m’expliquer en quelques mots l’attrait de peindre dans la nature ?
Pour moi qui suis contemplative et solitaire, travailler en plein air est une forme de concentration. Assez vite je deviens comme invisible dans mon environnement. Je peux observer autour de moi sans gêner qui que ce soit ; même les animaux ne sont plus dérangés par ma présence et s’approchent tout près. Je m’y sens bien, à ma place, et je peux commencer à peindre. Miro disait « Au moment de travailler à un paysage, je commence par l’aimer, de cet amour qui est fils de la lente compréhension. »
Enfin, qu’est-ce qui fait le charme particulier des environs de Truinas où tu as choisi d’habiter et de travailler ?
Quand je suis arrivée la première fois à Truinas j’ai immédiatement pensé : c’est là…très simplement, comme une évidence ; y peindre est une nécessité intérieure.
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