André Lhote et quelques émules « On ne voit bien que lorsqu’on est ébloui »

MIRMANDE

En 1925, alors qu’il séjournait dans la petite ville de Livron dans la vallée du Rhône, André Lhote qui était déjà un peintre reconnu sur la scène internationale, découvrit dans les collines environnantes le village de Mirmande. « C’était » écrit-il « un village en forme d’une immense pyramide perdue à la mémoire et destinée à une mort certaine. » Le lieu qui tombait en ruines semblait déserté par ses habitants et il ajoute que le seul coin où on pouvait encore espérer trouver des traces de présence humaine était au cimetière.  Les archives font déjà mention du village fortifié de Mirmande en 1238. Aux 18ème et 19ème siècles c’était un centre important pour l’élevage du ver à soie mais l’industrie subit un fort déclin lorsque la production de fibres synthétiques vint la remplacer. La plupart des habitants déménagèrent et comme la loi exonérait de taxes les maisons sans toit les toitures furent démolies ce qui accentuera davantage encore l’aspect de délabrement général. Ce sera au demeurant une aubaine lorsque le village fut redécouvert car des demeures en si mauvais état se vendaient pour une poignée de pain.

André Lhote comprit immédiatement le potentiel de l’emplacement pour un peintre : une vue imprenable sur la vallée avec au loin le cours du Rhône, de douces collines aux alentours avec en arrière-plan une chaîne de montagnes angulaires, le tapis bigarré des cultures et des vergers en fleurs. Il y a avait de quoi le séduire car un tel site se prêtait au style Cubiste qu’il pratiquait et dont Braque et Picasso peu de temps auparavant avaient été les précurseurs. Pour l’histoire de l’art cette avancée était révolutionnaire, un des mouvements artistiques les plus importants du 20èmesiècle depuis la découverte 500 ans plus tôt -pendant la Renaissance italienne- de la perspective linéaire pour créer l’impression de profondeur. Le Cubisme, en effet, va plus loin en décomposant et en mixant les différentes parties du sujet de manière à ce que les éléments et les formes soient vus par devant et par derrière créant ainsi une sensation de trois dimensionalités. D’un point de vue pictural, la Drôme  de manière générale est aussi une illustration du célèbre précepte de Cézanne à savoir que la nature peut être traitée par le cylindre, la sphère et le cône. Ces éléments géométriques se retrouvent en profusion à Mirmande et ses alentours, dans l’architecture du village comme dans le relief des paysages. Dès lors, pour André Lhote  qui affirmait qu’ «On ne voit bien que lorsqu’on est ébloui » il ne suffisait plus qu’à planter son chevalet pour se mettre à pied d’œuvre. Il n’hésite pas non plus à faire l’acquisition d’une maison à Mirmande, une grande bâtisse du 17ème siècle restée intacte et dans laquelle il prévoyait de passer les saisons d’été.

Lhote

André Lhote avait débuté en peignant à la manière des Fauves, puis il passera en 1912 au Cubisme dont il deviendra un fervent pratiquant et un théoricien connu qui donnera des conférences sur cette nouvelle forme de langage visuel en France et à l’étranger, en Belgique, en Italie, en Angleterre et même au Brésil. Ses écrits sur le paysage et la figure humaine, dans lesquels il développe les théories cubistes, sont salués par les historiens d’art comme étant déterminants. En 1922 il prendra l’initiative de fonder l’Académie André Lhote à Paris qui comptera  nombre d’artistes connus. Parmi ces derniers on retrouve par exemple le célèbre photographe Henri-Cartier Bresson qui débutera comme peintre, la sculptrice hollandaise Charlotte van Pallandt, la peintre polonaise Tamara de Lempicka. Peu de temps après sa découverte de Mirmande , André Lhote installera une école d’été dans sa résidence, « La Capitelle, » aujourd’hui un hôtel-restaurant couru. Des élèves et d’autres artistes vont bientôt le suivre. La réputation de l’école grandira, des artistes s’y inscriront et certains comme lui achèteront des maisons dans le village. Leur arrivée annoncera la renaissance de Mirmande qui deviendra en quelques années un centre artistique majeur.

Lhote

Diaporama d’oevres d’art divers d’André Lhote

 

Lanskoy

Garbell

Au moment de la Deuxième Guerre Mondiale un nouvel afflux d’artistes viendra grossir les rangs de ceux déjà établis à Mirmande, dont un nombre de réfugiés juifs. Certains connaîtront un brillant parcours comme Alexandre Garbell (1903-1970) et Alexandre Landskoy (1902-1976), tous deux russes et qui seront accueillis par André Lhote. Le premier, à la touche légère et libre exposera fréquemment à l’étranger comme le fera aussi son compatriote qui est essentiellement connu pour ses tableaux abstraits et colorés.

Rivier

Et puis il y aura Marcelle Rivier (1906-1986) qui était une personnalité tout à fait à part. Née à Lyon, elle grandira en Argentine où elle sera assistante dans une galerie d’art. De retour en France elle s’inscrit à l’Académie André Lhote à Paris tout en subvenant à ses besoins en posant comme modèle  et aussi comme danseuse de music-hall. Elle rejoint André Lhote à Mirmande en 1935 où elle passera ensuite six mois chaque année à peindre. Les photos de cette époque montrent une femme plutôt menue et jolie avec des traits et le regard déterminés. Ses tableaux sont un enchantement de couleurs et son coup de pinceau ferme et souple. Son caractère de battante et son courage vont se révéler pendant l’occupation allemande lorsqu’elle rejoindra la Résistance comme agent de liaison. Marcelle Rivier n’hésitera pas à abriter chez elle des opérateurs de radio clandestins qui assurent des contacts avec l’état major britannique. En pleine bataille de la Vallée du Rhône elle peindra des drapeaux américains sur des toiles de parachute et lorsque trois jeunes se font prendre c’est elle qui part les délivrer munie d’une carte de la Croix Rouge. Mission réussie, mais elle se verra retenue et embarquée dans un camion. Heureusement, un colonel allemand en fuite la fera descendre pour prendre sa place. La paix revenue la Croix de guerre lui sera attribuée pour son action dans la clandestinité. Fidèle à son tempérament radical et sans doute pour effacer les traces de l’occupation elle détruira tous les tableaux peints pendant cette période, à l’exception d’un seul. Il est aujourd’hui exposé au musée de la Résistance et semble faire référence au célèbre tableau de Goya le «Tres de Mayo » car il représente un Résistant devant un peloton d’exécution allemand. Rien d’étonnant que Marcelle Rivier affirmera « Je peins à cause d’un volcan dans mon cœur. »

Löwenstein

Fedor Löwenstein (1901-1946), juif allemand, faisait partie des artistes étrangers qui constitueront la célèbre Ecole de Paris. A la déclaration de la guerre il quittera la Capitale pour se rendre à Mirmande où André Lhote l’accueillera. Profitant de la protection de la Résistance il se cachera un temps à l’abbaye d’Aiguebelle. A Mirmande Fedor Löwenstein  vivra aussi une passion amoureuse avec Marcelle Rivier mais très malade il sera obligé de repartir se faire soigner à Paris en 1943 malgré le danger pour sa personne. Ils continueront à entretenir une importante correspondance (publiée) jusqu’à sa mort à Nice en 1946. Un envoi de ses tableaux destinés à une galerie New Yorkaise sera saisi en 1940 à Bordeaux et ils seront détruits car jugés « décadents » selon les critères nazis. Seules trois belles compositions abstraites cubistes -toutes barrées d’une croix rouge par les censeurs-  seront épargnées et elles sont aujourd’hui conservées au Centre Pompidou à Paris.

Marandet

Guy Marandet (1917-2011) rejoindra André Lhote  à Mirmande en 1934 où il continuera de se rendre chaque année, y compris pendant les années de guerre. A sa retraite il s’installera définitivement dans le haut du village en faisant l’acquisition d’une ruine qu’il mettra 30 ans à restaurer. Il est peintre et graphiste et l’auteur d’une œuvre forte et originale. Fidèle d’André Lhote il y recevra des élèves pendant les mois d’été à qui il enseignera des leçons inspirées du maître. Ce faisant il participera  au rayonnement de Mirmande comme centre culturel.

Loopuyt

Parce qu’inclassable et autodidacte Mena Loopuyt (1902-1991), d’origine hollandaise fait partie de ces peintres originaux qui choisiront de vivre non pas à Mirmande mais dans le village voisin de Cliousclat. Elle fréquentait André Lhote et ceux de son cercle mais sans adhérer au Cubisme. Comme l’écrit son ami Florian « Mena Loopuyt n’a jamais cessé de manifester, gentiment certes, une hautaine distance face aux nombreuses agitations esthétiques qu’elle a traversées avec humour tout au long de sa carrière. Son œuvre elle l’a faite face à elle-même, seule comme l’est le Poète dans la société de son temps. » Les tableaux de Mena Loopuyt ont une force et une naïveté qu’elle n’a surtout pas voulu corriger et ils traduisent son émotion immédiate devant le motif. Les couleurs sont vives mais sans être celles du Midi. Elles sont les couleurs terres de la palette flamande tradionelle tout comme l’approche pictural de Mena Loopuyt fait penser à celle des peintres de son pays natal, à ceux des provinces de Groningue et de la Friese en particulier.

Les tableaux de Mirmande et d’autres villages ainsi que les paysages peints par André Lhote et ceux de son cercle, « les peintres de Mirmande » comme on avait coutume de les appeler possèdent des couleurs vives et chaudes héritées des Fauves et traduisent bien la quintessence de la Drôme. Une visite du village qui porte le label de «Les plus beaux villages de France » suffit pour en être convaincu. Après avoir grimpé jusqu’à son sommet par un labyrinthe de ruelles qui mènent à l’église romane de Sainte Foy, la vue d’en haut est à couper le souffle et comporte tous les éléments caractéristiques, jusque dans ses moindres détails, qui font toute la beauté de la Drôme.

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