SOUSPIERRE
Ce qui caractérise la Drôme – outre la variété de ses beaux paysages et son excellent climat – et qui rend cette région de France si attachante, ce sont les innombrables traces de son passé humain. Il n’y a pas moins de six cents châteaux, un foisonnement de chapelles, d’églises, de cathédrales, de monastères de style roman. Villes et jusqu’au moindre village comme Souspierre où j’habite avec ma femme Anke de Vries (voir son Blog) possèdent de multiples histoires à raconter. L’explication la plus logique de l’origine du nom Souspierre proviendrait de son emplacement au pied d’une haute falaise, « sous la pierre ». Cependant, d’après certains historiens locaux il n’est pas inconcevable que ce soit un dérivé de « soupire » un rappel de l’époque où des brigands tendaient des embuscades aux voyageurs qui passaient par la gorge étroite du Bridon dans le bas du village et laissaient leurs victimes qui poussaient des « soupirs » dépouillés au bord de la route !
Et puis, parmi d’autres marques qui témoignent d’une lointaine présence humaine à Souspierre, il y a la ruine en forme de piton rocheux qui se trouve sur la falaise au-dessus de la petite église qui date du 17ème siècle avec sa tour Lombarde ajoutée plus tard. Lorsqu’on me l’a montrée pour la première fois en la nommant la Tour Sarrasine j’imaginais des « Infidèles », qui étaient passés par ici au 8ème siècle scrutant de cet endroit les alentours et la longue plaine qui s’étend jusqu’au Rhône. Depuis, j’ai su qu’il s’agissait sans doute d’une tour de guet appartenant à l’Ordre des Hospitaliers qui occupait la Commanderie du Poët Laval au 12ème siècle. On a également fait la découverte tout près de chez nous d’une cinquantaine de tombes anciennes orientées vers l’est dont on ne sait rien. Qui sont donc ces inconnus d’un temps passé qui foulaient le sol de l’endroit où je vis aujourd’hui ? Leurs âmes rôdent-t-elles toujours dans notre vallée, dans les vieilles fermes, notre petite église, dans les champs et les cultures délimités par des murs en pierre sèche ? Je le crois, et je pense que le paysage en est imprégné. Quoi qu’il en soit, j’ai pu constater combien ma palette en peinture s’est éclairée depuis que je suis ici. Ce ne sont plus les gris des brumes du Nord où nous vivions avec Anke mais la gamme s’est enrichie de couleurs vives qui rivalisent d’intensité pour rendre ce que je ressens dans cet environnement baigné de soleil et d’une culture séculaire.
L’ART ET MOI
Je ne suis pas un artiste professionnel obligé de gagner son pain en produisant des tableaux. Je ne l’ai jamais été et je suis conscient de ma chance de ne pas avoir le souci de mener de front ces deux activités. L’art n’a jamais été non plus pour moi un quelconque substitut de la vraie vie comme cela est parfois le cas pour des artistes connus et pleins de talent que nous admirons et qui de ce fait ont été malheureux, souvent au détriment de leurs relations personnelles. Je suis un amateur et mon art qui ne comporte aucun risque ni danger de trop m’absorber ne m’apporte que du bonheur et un peu aussi, je l’espère, à ceux qui achètent mes tableaux. La raison, je crois, de mon choix de peindre plutôt que d’exercer une autre activité je le dois au regard particulièrement aigu que je porte sur monde et le hasard qui fait que je possède quelques facilités pour recréer ce que je vois et ressens sur le papier et la toile.
Dès mon plus jeune âge j’adorais regarder et étudier des images. Elles avaient – et elles ont toujours – sur moi un effet magique. Je devais avoir quatre ou cinq ans lorsque je suis tombé sur le dessin d’un mouton dans un livre d’enfants. Je le revois comme si c’était hier. L’image n’avait rien d’un mouton : un corps en forme de saucisse, une tête ovale avec deux triangles pour oreilles, un point pour l’œil d’un côté et une bouclette de l’autre en guise de queue ; le tout porté par quatre bâtons. L’artiste manquait manifestement de talent mais mon admiration était sans bornes. Rétrospectivement, je réalise que l’impression faite sur moi par cet animal est celle que l’on peut parfois avoir devant une œuvre d’art. Pour citer Matisse, « L’exactitude n’est pas la vérité » !
Comme tout le monde je suis passé par des phases d’imitation pendant l’adolescence, dévorant des bandes dessinées et dessinant moi-même des centaines de petites scènes animées de cowboys et autres héros. Je m’amusais aussi à faire des caricatures que je montrais à mes copains. Plus tard et bien que très éloigné de mes activités professionnelles, je me suis inscrit au cours du soir de l’Académie Royale des Beaux-Arts à La Haye où je vivais avec ma famille. Je ne suis pas sûr d’y avoir appris grand-chose sauf peut-être quelques astuces du métier mais je suis alors entré dans un monde nouveau et fascinant que je n’ai plus jamais quitté. Plus que mes propres peintures je me suis passionnément intéressé à la vie et au travail d’autres artistes, aussi bien des contemporains que ceux du passé ce qui m’a amené notamment à écrire quelques livres sur l’art. C’est aussi ce qui a motivé la création de ce Blog !
En ce qui concerne mon propre travail, il est fortement influencé par mon rapport au paysage. Je crois que tout est parti de là que ce soit du figuratif ou de l’abstrait, aussi bien à l’huile qu’à l’aquarelle. J’ai grandi en menant une vie de nomade, constamment déménageant d’un pays à l’autre, d’un environnement très différent de l’autre. Ces paysages successifs – et leurs habitants – sont profondément ancrés en moi et continuent à déterminer dans une large mesure mes réactions perceptuelles. Venir habiter dans la Drôme aura été pour moi une bénédiction. Ses paysages avec de hauts sommets qui alternent avec de basses collines, les plaines ourlées de montagnes lointaines, les bleus, les jaunes et les ocres réunissent les multiples facettes picturales de ma jeunesse itinérante. Je les appréhende de manière viscérale et je les peins avec tout mon cœur (et parfois par cœur). De ce point de vue je n’ai aucun mal à suivre le précepte du peintre allemand Emile Nolde qui conseillait aux artistes de peindre d’abord et réfléchir après.
Huiles
Lorsque je me suis mis à la peinture à l’huile mes efforts étaient trop souvent frustrés par mon impatience à finir ou simplement par une baisse d’attention. J’ai trouvé la solution qui consiste à m’arrêter immédiatement de travailler dès que ressens faiblir mon intérêt et reprendre plus tard avec un esprit neuf. En règle générale je fais des dessins préparatoires avant de peindre un tableau figuratif mais je n’hésite pas à en modifier la composition et la couleur en cours d’exécution. J’apporte encore davantage de changements aux abstraits qui sont pour moi une vraie aventure vers l’inconnu. Leur dimension varie généralement entre 60 x 80cm et 80 x 100cm. Je commence par disposer un peu au hasard des formes et des couleurs sur la toile, puis j’en ajoute d’autres, modifiant la composition initiale jusqu’à la vandaliser parfois par des traits aveugles et des taches de peinture. En cela je ne fais que suivre l’exemple de Picasso qui disait que chaque acte de création commençait par la destruction. Les défauts et les imperfections ne me gênent pas, pourvu que le tableau touche juste et me procure un sentiment d’achevé.
Aquarelles
La technique est difficile à maîtriser mais le matériel est léger et parfaitement adapté au voyageur que j’ai été. Mon format préféré est de 30 x 40cm. Sur place je peignais régulièrement lors de mes voyages des esquisses aquarellées des régions et des pays que je visitais et que je qualifiais, faute d’un meilleur terme, de « topographiques. » Lorsque je les revois aujourd’hui je suis toujours étonné de constater à quel point elles restituent dans ma tête l’endroit et l’atmosphère du lieu, bien plus que des photos. Les aquarelles que je réalise ici chez moi dans mon atelier prennent plus de temps à peindre. J’y travaille sans pause et en pleine concentration jusqu’au déclic de la « reconnaissance émotionnelle. » Il s’agit souvent d’un endroit particulier de mon entourage qui retient mon attention mais là encore je m’écarte souvent de l’original pour peindre des formes ou ajouter des couleurs qui correspondent à ce que je ressens, comme si j’étais en train de composer une mélodie plutôt que de reproduire un motif.
Illustrations
Il y a un exercice auquel je m’adonne avec énormément de plaisir et qui me ramène à l’époque de ma jeunesse lorsque je peignais des petites scènes animées. Je commence par peindre sans idée précise en tête un paysage ou une figure, puis je donne libre cours à mon pinceau jusqu’à ce qu’une image interpelle mon imagination. Il ne me reste plus qu’à ajouter quelques détails et à l’achever. Ces improvisations racontent une historiette sortie d’un recoin dans mon esprit. Savoir à l’avance ne m’intéresse pas » C’est la surprise qui compte ! «
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