“ L’oiseau tout là-haut, vole
Sur la branche, gazouille
Sur ma fenêtre, chante
Sur ma main, parle
L’oiseau sans aile sur ma table, m’interpelle ! «
(Régine Canaux)
Avec l’article blog de ce mois-ci je veux faire honneur à un artiste qui était mon meilleur ami à Dieulefit. Sylvain – Sylvain Canaux – est décédé il y a voilà 4 ans. Il me manque et aussi les longs moments passés ensemble à parler d’art et de bien d‘autres choses car ses intérêts étaient multiples. A l’instar de nombreuses personnes qui possèdent un vrai talent il était modeste et discret ne cherchant jamais à se mettre en avant. Je le revois clairement, grand, élégant observant son entourage avec ses yeux très clairs, le regard un peu rêveur. Cela surprendra peut-être mais c’est grâce au basket-ball que notre amitié est née. Nous avions longtemps passé l’âge de jouer mais nous avions été joueurs, lui j’en conviens à un niveau bien supérieur au mien. Et, très vite il est apparu que nous avions beaucoup d’autres points en commun notamment celui d’une passion pour l’art qui deviendra entre nous le sujet d’échanges sans fin. Nous avons même à deux reprises exposés ensemble !
Ce n’est que sur le tard que Sylvain fera ses premiers pas de sculpteur mais sa vie durant il aura été un artiste et un créateur dans l’âme. Son parcours se déploie comme une rivière qui serpente à travers une grande diversité de paysages où il rencontrera et va collaborer avec des personnages parmi les plus intéressants du monde des arts de son temps. Ainsi, il passera des heures à interviewer et à discuter avec le pianiste Arthur Rubinstein, vieillissant mais toujours gai et plein de d’humour, dans sa maison parisienne sur la Butte Montmartre. Rostroprovitch montera à pied avec son violoncelle les trois étages jusqu’au bureau du magazine Musique pour surprendre la rédaction dont Sylvain un temps fait partie et leur offrir une représentation impromptue en remerciement d’un article qu’on lui avait consacré. Sylvain est également l’auteur d’un livre sur la célèbre soprano allemande Elisabeth Schwarzkopf. Il fréquentait à l’époque les cercles littéraires et artistiques de Paris, celui des peintres comme Raymond Moretti qu’il appréciait ou du sculpteur César, un des chantres des Nouveaux Réalistes, et beaucoup d’autres. Mais revenons aux tous débuts.
La famille d’abord. Il y avait dans la famille de Sylvain une veine artistique qui aura sans doute nourri son talent et influencé sa perception du monde. Son père, pianiste, avait fait des études d’arts appliqués et sa mère était professeur de violon. Ils recevaient régulièrement chez eux des chanteurs d’opéra professionnels et semi-professionnels pour participer à des séances musicales. Ayant grandi dans une atmosphère baignée de musique classique Sylvain qui lui aussi avait l’oreille musicale aspirait à autre chose. Dans ces années-là Saint-Germain-des-Prés était un centre névralgique du jazz et du bebop. Avec ses copains d’alors ils feront la ronde des petits clubs de jazz et des caves enfumées où se déhanchaient les danseurs – dont de nombreux étaient des soldats noirs américains restés à Paris après la guerre – entrainés par des Jazzmen célèbres comme les clarinettistes Sydney Bechet et Claude Luter, ou encore le trompettiste Boris Vian. En même temps, Sylvain faisait la connaissance et entretenait des relations avec ceux qui plus tard détermineront ses choix professionnels. L’heure des études venue il opte pour l’architecture qu’il abandonnera après un an de cours pour s’inscrire à l’Ecole des Beaux-Arts dont l’enseignement s’accordait bien mieux à ses aspirations et à son tempérament. Je rappelle en passant que Sylvain était aussi un sportif accompli. J’ai en effet lu quelque part – et j’ai peut-être mal compris – que les sportifs et les artistes ont souvent une acuité visuelle similaire et une même forme de motricité ? Quoi qu’il en soit, Sylvain excellait dans la pratique de plusieurs sports et il était avant tout un basketteur émérite ce qui, comme je l’ai déjà mentionné, sera la raison qui nous réunira pour la première fois.
Ses études terminées, Sylvain sera engagé et chargé des travaux graphiques par une agence de publicité. Malgré son jeune âge il se fait rapidement remarquer et devient le remplaçant du directeur artistique du quotidien France Soir. La suite de son CV donne le tournis. Les contrats s’enchaînent dans le monde de la presse, de l’art et du design. Il sera directeur artistique d’un magazine d’architecture fondé par Jean-Louis Servan Schreiber, le Groupe Havas l’un des plus importants bureaux de presse et de communications au monde figure parmi ceux qui auront recours à ses services, le magazine Elle le nommera directeur artistique, un poste de choix qu’il occupera pendant deux ans. Cependant, sa plus belle aventure professionnelle viendra lorsqu’on lui demandera d’insuffler une vie nouvelle à Vital, un magazine sur le déclin. C’est un défi qu’il relève avec ardeur et le nombre de lecteurs augmentera de manière spectaculaire. Pendant dix ans il remplit les deux fonctions de directeur artistique et grand reporter, voyageant aux quatre coins du monde accompagné de son équipe composée de photographes, stylistes, un coiffeur et les mannequins qui seront photographiées sur place. En 1992 le voilà de nouveau sollicité comme directeur artistique et rédacteur en chef de l’hebdomadaire Le Point pour lequel il avait précédemment fondé le magazine Musique (que j’ai déjà évoqué et lui vaudra avec la rédaction la visite surprise de Rostropovitch !) Il n’est pas étonnant vu ce riche parcours, débordant d’activités aussi bien artistiques que journalistiques, qu’on en vienne dans les cercles de l’art et de la presse à le surnommer « Le journaliste visuel ! »
La carrière journalistique liée à l’art de Sylvain prend fin en 1996. Il est bien connu que les personnes dont la vie professionnelle a été bien remplie se résignent mal, la retraite venue, à mener une vie d’oisiveté. Sylvain et sa femme Régine qui dirigeait une galerie de verrerie d’art à Paris et partageait son amour de l’art, décident d’aller vivre plus au sud et découvrent la Drôme où, après avoir un moment envisagé Grignan, ils s’installent à Dieulefit. C’est alors que Sylvain qui au cours de sa vie professionnelle avait réalisé des centaines de maquettes de brochures, de couvertures de magazines, d’affiches et autres créations publicitaires trouvera une voie en tant qu’artiste plasticien par laquelle il pourra entièrement s’exprimer et qui sera pour lui jusqu’à la fin une source de profonde satisfaction. Il devient sculpteur et très vite il exposera ses œuvres dans une galerie parisienne. A son grand étonnement presque toutes ses sculptures seront vendues. D’autres expositions suivront à Paris et dans la Drôme, notamment à deux reprises dans la Galerie Emiliani, et les critiques chaque fois seront excellentes.
La toute première sculpture de Sylvain est faite à partir d’une coupe de rondin, un beau poisson ventru habilement taillé dans le bois. Mon ami H… qui est un sceptique dès qu’il s’agit d’art moderne me demanderait sans doute : « Comment se fait-il qu’un adulte de son âge puisse faire quelque chose de pareil et l’appeler un poisson ? Cela n’a rien d’un poisson et il devrait mieux le savoir ! » Mais oui, bien sûr ce n’est pas un poisson qui nage dans la mer et qu’on vend sur le marché. Sylvain est un artiste et un poète qui laisse derrière lui le monde de la raison en échange de celui de son for intérieur et de la création. Après la sculpture du poisson il y aura celles des oiseaux et d’autres animaux ou encore celles de curieux personnages. Je m’imagine le plaisir qu’il a dû ressentir en créant comme un enfant des êtres extraordinaires, touchants et légèrement comiques, avec des éléments pour le moins bizarres. Il est intéressant à ce propos de lire en quels termes certains critiques d’art ont pu exprimer leur admiration en découvrant l’originalité des sculptures de Sylvain :
« Les sculptures de Sylvain Canaux permettent d’assister à la naissance d’une forme que la nature n’a pas assurée ou qu’elle gardait pour elle ; »
« C’est une promenade dans un univers futur, une planète où les oiseaux et non les singes auraient remplacé les hommes ; »
« Sylvain Canaux ou l’art de sortir de l’oubli de fabuleux outils totalement tombés en désuétude et en tirer ces personnages hybrides mi-oiseau, mi-poisson, mi-homme au regard interloqué, à l’expression interrogatoire mais quiquionest mais quoiqonfait? Et de leur répondre : vous n’êtes pas là pour vous faire engueuler mais pour nous faire rigoler ! »
Je suis souvent allé voir Sylvain dans son atelier de Dieulefit, une véritable cave d’Ali Baba remplie d’ustensiles et d’accessoires hétéroclites, des balais, porte chapeaux, fourchettes, pelles, outils anciens et même une ruche d’autrefois, fabriquée, si je m’en souviens bien, en Normandie, avec de la bouse de vache ? Ce sont ces objets avec lesquels il créait ses sculptures, ses mioiseaux, mipoissons, mihommes. » J’en possède une dans mon bureau. Elle s’appelle Antonia et lorsque je la regarde elle me fait un petit signe de l’aile et je pense à Sylvain.
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