Ma première rencontre avec Brigitte Dykman date d’il y a plusieurs années. J’avais entendu dire qu’elle était co-fondatrice d’une association appelée l’Art à Demeure dont le but était de faire connaître le travail d’artistes plasticiens vivant et travaillant dans la Drôme. En peu de temps l’association, grâce aux efforts de Brigitte et d’une équipe de volontaires enthousiastes, obtiendra une large reconnaissance parmi les amateurs d’art du Département. Pendant 10 ans l’association fera en quelque sorte office de vitrine régionale, mettant en avant l’activité artistique de ses membres dont de nombreux bénéficieront des projets promotionnels qu’elle organisait telles que, visites d’ateliers très fréquentées, expositions de sculptures dans des jardins, itinéraires artistiques, etc. Des sponsors viendront soutenir ces activités comme aussi les autorités locales des communes où se déroulent les divers événements artistiques qui seront amplement rapportés par la presse et les médias. C’est pourquoi, en apprenant l’existence de l’Art à Demeure j’eus envie de rencontrer Brigitte dont on m’avait dit qu’elle en était une des forces motrices tout en étant une artiste de premier ordre.
L’accueil qu’elle me réserva sera chaleureux. En entrant chez elle pour la première fois je me souviens très clairement d’un grand atelier bourdonnant d’activités, des élèves qui peignaient dans un coin alors que dans l’autre trois ou quatre femmes tenaient une réunion. Brigitte me les présenta. Elles préparaient le prochain évènement organisé par l’Art à Demeure. Comme il restait encore quelques points à régler Brigitte m’invita en attendant à faire le tour de son atelier où certains de ses tableaux étaient accrochés.
Je fus immédiatement frappé par leur contraste avec ces pâles imitations d’œuvres d’artistes connus que l’on voit trop souvent dans les galeries. Leurs tons tamisés plutôt fauves dénotaient une palette personnelle comme aussi le choix des sujets. Certaines toiles représentaient un bol, d’autres la lumière diffuse dans un espace qui pouvait aussi bien être une cave ou un local vide. Le rendu du motif était exact mais par l’impression qui s’en dégageait je sentais que l’artiste cherchait moins à reproduire la réalité que d’exprimer « l’idée » qu’elle s’en faisait. Bien que datant d’époques différentes je ne pus m’empêcher de penser à certains peintres italiens de l’entre-deux-guerres que j’adore comme Filippo de Pisis, Carlos Carrà et bien sûr à Giorgio Morandi. Pendant un certain temps après cette première rencontre je n’ai plus revu Brigitte. Elle s’était engagée dans une nouvelle aventure artistique qui durera neuf ans, la création et l’exploitation, en collaboration avec Philippe Mussy un amateur d’art contemporain éclairé, de « La Grande Galerie.» Ce centre d’art, installé dans une ancienne magnanerie de la Drôme, organisera des expositions marquantes d’artistes français et étrangers. Brigitte qui était au centre de ces activités exposera à leur côté ce qui lui permettra, dit-elle, de satisfaire à son besoin d’entretenir des rapports professionnels et amicaux avec ses pairs.
C’est un beau parcours d’artiste que celui de Brigitte et il mérite qu’on s’y attarde. Je lui ai posé des questions et voici ses réponses.
Est-ce que tu as grandi dans un environnement ouvert à l’art et y avait-t-il des signes dans ta jeunesse pour pressentir qu’un jour tu deviendrais une artiste ?
« Pas vraiment. Dans notre famille on appréciait l’art comme chez tout le monde, mais pas plus que ça. Ma sœur était une danseuse classique de talent et chez nous on la considérait comme l’artiste de la famille. Moi, j’étais plutôt le « garçon manqué » qui préférait aller courir dehors en plein air que jouer avec des poupées. Mon intérêt pour l’art a commencé à l’école secondaire lorsqu’une prof de dessin m’orienta vers la filière littéraire qui avait au programme des cours de dessin et de l’histoire de l’art. «
Quand as-tu pris la décision d’opter pour une carrière artistique ?
« Mon intérêt pour l’art n’ayant cessé de grandir et mon Bac en poche j’ai décidé de poursuivre mes études à la Faculté d’Arts Plastiques qui avait été peu de temps auparavant mise en place par l’Université de Paris. «
Ton art est figuratif quoiqu’on puisse considérer qu’il ait une approche abstraite car il ne s’agit pas de simples copies du motif mais avant tout de susciter des émotions qui sont par définition abstraites et insaisissables. Il est vrai que bien dessiner a son importance et les artistes de ta génération disent souvent avoir été frustrés pendant leurs études car l’époque favorisait l’art conceptuel et le travail figuratif, jugé démodé, était mis au ban des programmes. Comment as-tu vécu ces années ?
« Les temps qui suivirent mon inscription à la Faculté furent décevants. Le cursus en était encore à ses balbutiements et comportait de nombreuses lacunes. On enseignait l’histoire de l’art, l’architecture, la sculpture, la gravure, la chromatologie mais, en effet, pas le dessin. C’est pourquoi parallèlement à cette formation universitaire que je trouvais incomplète j’ai suivi des cours de dessin à l’Ecole d’Arts Appliqués dans le 3ème arrondissement à Paris, et la pratique du dessin sera toujours au cœur de ma peinture. «
Quels ont été tes premiers pas en tant qu’artiste professionnelle et à quelle époque ?
« Après mes études je me suis mariée. Nous avons eu des enfants et j’ai dû passer une grande partie de mon temps à m’occuper de leur éducation. Cependant, j’ai toujours continué à peindre, soit seule ou bien avec d’autres. En 1976 je me suis aussi affiliée à une association d’artistes. Il doit y avoir dans ma nature un grand désir d’apprendre et de me nourrir de l’expérience des autres ce qui expliquerait sans doute pourquoi je me suis si souvent engagée dans des projets liés à l’art. Mon mari ayant été nommé à différents postes en France et à deux reprises à l’étranger – en Australie et au Cameroun – je l’ai suivi et chaque fois j’ai trouvé le moyen de donner des cours de dessin et de continuer ainsi à exercer une activité de peintre. Au cours de cette période itinérante de ma vie qui a duré une vingtaine d’années j’ai peint, et avec passion, énormément d’aquarelles. Et puis je n’ai jamais cessé d’exposer mes tableaux que ce soit en France ou à l’étranger, notamment en Australie et aux Pays-Bas. J’habite la Drôme depuis 1996 où je continue à exposer régulièrement. »
Parlons de ton travail et des sujets qui te tiennent à cœur…
« Je travaille aujourd’hui essentiellement à l’acrylique tout en ayant recours, si cela s’impose, à des techniques mixtes. Comme il a déjà été mentionné je suis un peintre figuratif et si j’attache de l’importance à dessiner exactement je tiens à préciser que ce n’est pas en priorité la forme extérieure de mon motif qui compte mais ce qu’il dégage pour moi. Cette recherche du ressenti m’amène à « remettre sur le métier… », a sans cesse redessiner, observer, scruter les thèmes que j’explore. Je le fais avec une grande économie de moyens afin de ne pas me laisser distraire par une tendance au décoratif ou par les pièges de l’excès de couleurs. Je n’utilise que quelques tubes, des pinceaux de piètre qualité, des ustensiles détournés de leur fonction comme les raclettes de maçon. Mes supports sont en général rigides et variés, et souvent texturés comme le carton et le bois de manière à ce qu’ils m’offrent une résistance que des années de pratique m’ont progressivement fait découvrir et ils contribuent sans doute aussi à forcer mon attention et à approfondir ma recherche par leurs effets inattendus. «
Quels sont tes sujets de prédilection ?
« D’une manière générale et pour résumer, je suis fascinée par le végétal, la pierre et la lumière que je cherche à rendre dans mes tableaux sous leurs différents aspects. Ainsi je peux inlassablement reprendre avec une intense curiosité la peinture d’un même arbre, étudier la vigne, interroger le cardon et le tournesol pour aller au plus profond de ce qu’ils représentent pour moi. Cela s’applique également pour les objets. J’ai longtemps affectionné la douceur des courbes du bol qui symbolise le partage. Aujourd’hui ce sont des objets familiers, de ceux qui font partie de mon entourage immédiat et qui m’interpellent par leur caractère familier et rassurant. »
Quelle est la signification de l’art pour toi ? Ou encore, imagine que pour une raison ou une autre tu sois empêchée à jamais de peindre, ça te ferait quoi ?
« Je te donnerai une réponse toute personnelle car je ne me sens pas en capacité de disserter sur l’art d’une manière globale. Il m’est plus facile de répondre à la deuxième partie de ta question.
La peinture c’est l’épice de ma vie, c’est mon espace privé, mon jardin secret que je souhaite pourtant, plus que tout, partager. Comme je l’ai déjà mentionné, je fais le choix de sujets ordinaires et dans le calme de mon atelier, je m’efforce de les rendre uniques par l’alchimie de la matière, de la couleur, de la lumière, du graphisme. La toile est mon terrain de jeu où je me confronte à la couleur, la texture, la ligne et le point pour donner à « l’objet » ou au « champ de tournesols » son unicité, son caractère exceptionnel. Voir se transformer la toile à force d’hésitations, de renoncements et de certitudes m’apporte une réelle satisfaction visuelle et intérieure. Apporter une dernière touche et croire un instant avoir été capable de peindre quelque chose de nouveau…quelle excitation !
Mais s’il m’arrivait que je ne puisse plus peindre, je tournerais cette page colorée et bien remplie en me tournant vers un autre devenir. Je regarderais avec tendresse ces années passées à peindre dans la solitude de l’atelier, je vivrais sans regrets pour me concentrer sur un nouvel avenir. Je rebondirais pour vivre sans la peinture parce que sans doute chez moi elle n’a jamais pris toute la place. Elle a UNE PLACE IMPORTANTE, mais ma vie est remplie de tant d’autres bonheurs… ! »
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