Ce mois-ci mon blog porte sur des marionnettes et une marionnettiste. Mais avant de commencer j’aimerais vous raconter une petite histoire dont je n’ai jamais su la suite et la fin. Un jour, il y a quelques années, le chauffeur d’une camionnette de livraison qui était déjà passé chez nous sonne à la porte d’entrée en demandant à me voir. Il avait sans doute remarqué que nous avions beaucoup de livres et souhaitait mon avis sur un ouvrage qu’une femme lui avait légué pour services rendus. Il retourna chercher dans sa camionnette un épais volume ancien qu’il me montra en me demandant s’il avait de la valeur ? A mon grand étonnement je découvris en tournant les pages une série de dessins représentant un personnage dont je cru reconnaître les traits. J’étais intrigué et je dis au chauffeur que j’avais un ami bibliophile qui pourrait peut-être fournir des éclaircissements sur la provenance et la valeur de l’ouvrage. Pour faire court, le livre était très vieux et contenait vraisemblablement le manuscrit original des illustrations qui serviront à la création en 1808 de Guignol, la marionnette qui a enchanté la jeunesse de tant de petits français. Mon ami recommanda vivement au chauffeur de se mettre en rapport avec le musée Guignol à Lyon et proposa être son intermédiaire. En apprenant la nouvelle une expression de surprise heureuse passa sur le visage de celui-ci mais je crus déceler une hésitation et une pointe de méfiance dans son regard concernant l’offre de médiation. Nous n’avons jamais plus revu le chauffeur. Et le livre qu’en est-il advenu ?
Comme tout un chacun j’ai assisté pendant mon enfance à des représentations de marionnettes et je me souviens très bien être tombé sous la magie du spectacle. Je criais, je hurlais d’excitation joyeuse avec les autres et je prévenais les marionnettes des dangers qui les menaçaient lorsqu’elles ne s’en apercevaient pas. Chaque pays a ses marionnettes nationales que ce soit Polchinella en Italie, Polichinelle et Guignol en France, Punch and Judy en Angleterre, Jan Klaassen en Katrijn dans ma deuxième patrie, les Pays Bas, Petrouchka en Russie, et elles sont avec nous depuis la haute antiquité, dans toutes les cultures et dans toutes les sociétés. Elles se présentent sous des aspects différents et elles sont diversement manipulées : enchâssées dans un gant, sur des tiges ou des baguettes, suspendues à des fils, en projetant des ombres, enfilées sur les doigts de la main… Les représentations auxquelles j’assistais dans ma jeunesse avaient surtout pour but de divertir mais le théâtre des marionnettes est également utilisé à des fins beaucoup plus sérieuses. Dans certains pays les marionnettes sont des objets sacrés ou des effigies symboliques. On connait aussi l’influence qu’elles exercent dans la diffusion d’idées nouvelles tant sur un plan personnel que social. Mises entre de mauvaises mains leur pouvoir peut s’avérer dangereux, voire toxique, comme lorsque Hitler encourageait des spectacles de marionnettes pour promouvoir l’idéologie nazie. La raison de leur impact provient sans doute de ce que ces petits personnages parodient notre vie et sont un reflet de qui nous sommes, de nos rêves et de nos aspirations. Quant à moi, j’estime que ceux qui savent les fabriquer et leur insuffler une vie sont les créateurs exceptionnels d’une forme de réalité parallèle qui font d’eux des artistes dans le sens le plus vrai du terme. En apprenant qu’à seulement quelques kilomètres de chez moi une marionnettiste écossaise gérait un excellent théâtre de marionnettes j’ai senti que je devais aller lui solliciter une interview pour « Provence Reflections ».
J’ai donc invité Deborah Maurice qui dirige la Compagnie de théâtre Samildanach à venir faire connaissance chez moi. Anke ma femme, et Karin ma fille – qui est la rédactrice de ce blog – étaient avec moi pour l’accueillir. Après quelques premiers échanges nous en sommes vite venus à la raison de sa visite. De toute évidence Deborah était totalement absorbée par ses activités de marionnettiste et nous avions conscience d’avoir devant nous une professionnelle de premier ordre. Par moments, lorsqu’elle évoquait une représentation, il y avait dans ses yeux d’intenses lueurs comme si elle suivait avec concentration la scène qui se déroulait dans sa tête. Cela nous donnait l’impression qu’elle parlait en ayant une sorte de double vision : elle nous regardait en même temps qu’elle observait les acteurs sur scène !
Deborah quitta l’Ecosse avec son mari il y a 14 ans afin de s’installer au Poët Laval et y établir son association Samildanach. Le nom étant peu courant je voulus en savoir la signification. « C’est un mot Celte et il y a une petite histoire qui explique notre choix. Lorsque nous sommes arrivés ici je voulais conserver le nom de ma Compagnie anglaise qui était « Collaboraters Theatre » mais pour des raisons évidentes c’était impossible en France. C’est alors que je me suis souvenue d’un conte qui raconte comment un personnage du nom de Samildanach, arrive devant les portes de la ville et doit dire au gardien ce qu’il a à offrir à la communauté : poésie, travail du bois, magie, ferronnerie, musique, ou autre chose… Il m’est apparu que c’était grâce à la maîtrise d’un certain nombre de ces compétences que se réalise (du moins c’est le but recherché) la magie et la poésie de ce que nous avons, nous marionnettistes, à exprimer. Pendant la première année de notre séjour nous avons pu bénéficier d’une résidence artistique au Théâtre du Fenouillet à Saint Gervais et nous nous avons dès lors sans tarder pris des dispositions pour inscrire notre Compagnie auprès de la Préfecture de la Drôme sous le nom de Samildanach qui nous paraissait un nom qui en valait bien un autre ! »
Quand est-ce que tout a commencé ? Deborah est née en Ecosse mais elle passera une grande partie de sa jeunesse dans un lieu isolé sur la côte occidentale de Cumbria en Angleterre. De sa maison elle voyait la mer et par temps clair on distinguait l’Ile de Man. Cela la faisait rêver et elle s’inventa des histoires sur ce qui s’y passait. « J’aime le bleu d’ailleurs, des horizons lointains. Il m’arrive lorsque j’aperçois au loin les montagnes bleues de l’Ardêche de penser, c’est là-bas où ça doit se passer… »
Ailleurs (le terme revient souvent lorsque Deborah parle de sa vie) être ailleurs et raconter des histoires comme elle aimait à le faire dans sa jeunesse, et encore aujourd’hui. C’est peut-être par là que tout a commencé, le besoin d’inventer et de mettre en scène les récits nés de son imagination ? « Je ne me rappelle pas avoir été à un théâtre de marionnettes pendant mon enfance mais je me souviens très bien du cirque qui est passé chez nous et des grands, IMMENSES personnages clownesques sur échasses qui se promenaient sur la piste, et comment j’avais peur qu’ils s’assoient sur ma tête…j’étais ailleurs…et je continue jusqu’à maintenant à avoir une admiration craintive pour les éléphants et pour la sciure de piste. D’ailleurs, encore tout récemment pendant le confinement j’ai créé un film sur un théâtre d’ombre qui s’appelle « A Touch of Sawdust, » (Une poignée de sciure) ! VOIR VIDEO.
Le chemin parcouru par Deborah avant de devenir une marionnettiste à part entière se fera par étapes. Elle avait vécu quelques expériences réussies en se servant de marionnettes comme moyen de communication pour explorer la situation des femmes dans des quartiers défavorisés et aussi en travaillant avec des adultes handicapés. Afin de perfectionner ses techniques et étendre ses connaissances elle suivra des stages auprès de divers marionnettistes, s’inscrira à des cours d’art dramatique à l’université, jouera sur scène et écrira quelques pièces de théâtre. « J’ai eu la chance de tomber sur des projets exceptionnels dans la sphère du théâtre de marionnettes. Les matériaux utilisés m’attiraient aussi : un bloc de bois, du fil de fer, de la colle, et puis ces yeux au regard fixe de la marionnette qui contemple plein d’incrédulité suspendue l’éternité en communion avec les spectateurs. Elles ne connaissent pas l’ego. Je crois que c’est pour cela aussi que je les affectionne et qu’elles me séduisent. Il n’y a pas de place pour un ego d’acteur lorsqu’on travaille avec des marionnettes. Toute l’énergie doit se focaliser sur la marionnette sinon il y a confusion, les spectateurs ne la verront plus, toute leur attention portera sur le marionnettiste qui l’actionne. J’ai aussi eu la chance de me voir offrir une résidence par la célèbre compagnie tchèque DRAK où j’ai pu observer leur beau travail du bois et la magie pure de la transformation sur scène grâce au savoir-faire des marionnettistes. Cela aura été un véritable tournant dans ma vie. Jusque-là je me qualifiais de « praticien de théâtre » mais depuis je sens que je suis devenue une vraie marionnettiste. Le domaine des marionnettes à travers le monde est plein de choses extraordinaires, sur le plan technique notamment, mais ce que j’aime par-dessus tout c’est ce potentiel de silence de la marionnette, ses yeux fixes qui portent le regard vers le lointain, comme ces marionnettes Rajasthani qui depuis plus de mille ans habitent l’Inde. »
J’ai demandé à Deborah de me parler de sa conception du travail avec des marionnettes. « J’exerce à la fois un travail qui est extérieur et à l’intérieur du théâtre – l’extérieur étant généralement des lieux non-conventionnels – et sur scène. ». Le processus de création commence par l’adaptation d’histoires existantes mais il lui arrive aussi avec d’autres de développer une idée qui leur est venue ou de s’inspirer d’un objet. Il faut ensuite décider de la forme : marionnettes d’ombre, sur table, à triangle ou à fils. « La plupart de mes représentations sont un mélange de marionnettes sur table et marionnettes d’ombre, avec ou sans texte …faut-il un narrateur … y a-t-il un rapport avec le marionnettiste ? La plupart de mes représentations sont un mélange de marionnettes sur table et marionnettes d’ombre. En ce qui concerne cette dernière forme elle est pour moi un peu comme si je peignais un tableau. Je ne suis pas particulièrement intéressée par des silhouettes plates et parfaites et si j’y ai recours c’est pour jouer avec elles comme avec les formes et la lumière… par exemple en utilisant des torches qui projettent des ombres mouvantes et suggèrent une ambiance.
Il y a aussi les musiciens qui interviennent et nous travaillons à créer un monde fait de sons afin d’obtenir l’ambiance et le rythme qui conviennent à la scène. On y parvient de façons différentes comme par exemple en faisant cliqueter des coques de noix vides pour évoquer l’atmosphère froide et humide d’une cellule de prison ainsi que la solitude du prisonnier. Faire ressentir la sensation provoquée par le bruit de la tête en bois de la marionnette, lorsqu’elle est jetée à terre par le marionnettiste et vient frapper le sol dur et mouillé de la prison. On entend alors le choc du bois contre le bois et les spectateurs pousser un « ah » d’indignation, choqués en sachant leur héro blessé. Rien ne doit jamais intervenir qui puisse concurrencer la marionnette, tout est à son service ! Il appartient à l’imagination des spectateurs de remplir les vides s’il y en a. Ceci est particulièrement vrai pour le théâtre d’ombres qui est bidimensionnel. Aux spectateurs de l’autre côté de l’écran d’ajouter la troisième dimension. »
Deborah a beaucoup voyagé et elle a visité de nombreux pays. En plus d’être un divertissement, le théâtre des marionnettes a également une vocation éducative sur un plan socio-culturel comme sur le plan moral. Les représentations de théâtre contribuent alors à résoudre des problèmes liés à l’enseignement, au chômage, à la pauvreté, à la santé, etc. « C’est pour des raisons très diverses que je suis partie travailler à l’étranger. Parfois c’était à la suite d’une idée un peu folle qui m’était venue, ou bien il s’agissait de projets spécifiques. Le projet en Equateur a été réalisé dans le cadre d’un programme des Nations Unies en vue d’assainir la forêt vierge. Je connaissais quelqu’un à Genève et elle avait vu le travail humanitaire que j’avais réalisé en Afrique. Elle participait elle-même à une campagne dirigée contre les compagnies pétrolières dans les régions amazoniennes. De manière générale, une large partie de mon action à l’étranger aura été d’ordre humanitaire ! »
Au cours des dix dernières années, depuis l’arrivée de Deborah en France, la compagnie Samildanach organise chaque année au Poët Laval où elle réside le « Festival des Marionnettes », un évènement international qui connait un grand succès. Le « 11ème Festival des Marionnettes et du Cirque » qui devait se dérouler au mois d’avril prévoyait un programme d’une quinzaine de jours comprenant des représentations et des cours pour adultes et enfants. Cependant, en raison des restrictions dues au Corona virus l’évènement a été reporté au mois d’octobre prochain. (Notons au passage que ce sont la Communauté des Communes de Dieulefit, la Mairie de le Poët Laval qui participent au budget de Samildanach depuis 2007 mais la compagnie doit essentiellement son existence à des dons privés, d’entreprises locales et à la vente de billets.) Le programme d’octobre figurera bientôt sur le site : http://marionnettes-samildanach.com.
J’ai eu beaucoup de plaisir en préparant ce blog de découvrir tant de choses que j’ignorais sur l’univers des marionnettes et des marionnettistes et je suis très reconnaissant à Deborah d’avoir bien voulu si généreusement partager son expérience avec moi. Un grand merci Deborah de m’avoir fait voyager AILLEURS avec toi !
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