Karin Dilthey – Photographe

Série – La virvoltante

Série – Naïades

La très belle gamme de gris éclatants m’ont immédiatement séduit en découvrant les photos de Karin Dilthey. De plus près d’autres qualités s’en sont également dégagées comme des compositions tout en équilibre et en harmonie, un sens sûr de la couleur, le choix éclectique des sujets sans oublier une forme de mystère. Mais d’abord je souhaite revenir aux gris et les raisons pour lesquelles ils ont retenu mon attention. Avant de venir dans la Drôme j’habitais les Pays-Bas-près-de-la-Mer comme on disait autrefois. Tous ceux qui ont visité la Hollande savent que le climat y est pluvieux et humide et même par beau temps l’air est saturé par l’eau de la Mer du Nord et des grands fleuves qui traversent la majeure partie du territoire. Les paysagistes hollandais connaissent bien l’effet de la lumière sur les teintes qui passent à travers de multiples couches d’humidité comme par un prisme et ils les qualifient de « gris colorés » dont ils traduisent dans leurs tableaux toutes les gradations.

Les couleurs chaudes et tranchées utilisées par Monet dans ses toiles lors de ses trois voyages en Hollande n’ont rien des gris argentés de ses homologues néerlandais. Son « œil français » était apparemment incapable de les capter. Un autre peintre français, Amand Gautier, à la même époque, refusait tout simplement de croire que les peintres Hollandais voyaient correctement les couleurs de leur pays. A ma surprise, en découvrant les photos de Karin j’ai tout de suite été frappé par les nuances de ses « gris colorés » qui me font penser à ceux que j’admire dans les aquarelles des peintres de l’Ecole de La Haye de la fin du 19ème siècle. Ils sont doux et tamisés et les couleurs vives, les rouges, ocres, les verts brillent de ce fait comme des pierres précieuses serties dans un écrin nacré. D’autres photos m’ont fait penser à certaines aquarelles vaporeuses et légères de Turner. Dans un des livres de Karin intitulé « Les Fentes » par exemple au fur et à mesure que l’on passe de la première photo de la série à la dernière ces « gris colorés » se réduisent graduellement jusqu’à devenir un ton tirant sur le noir. Cette qualité et la manière dont Karin fait jouer la lumière sont en soi une véritable expérience artistique.

Série – Collines

Sans titre

Et, ce n’est pas tout ! Il y a dans les photos de Karin de captivants jeux d’ombres et de mouvements. Rien n’est statique, ni définitif. Son monde surprend par sa mobilité. Tout bouge constamment. Il est brumeux comme perçu à travers des yeux mi-clos. Les formes dans certaines de ses marines et de ses paysages ne sont que vaguement identifiables car floutés par le mouvement ; l’image devenue abstraite devient en quelque sorte « audible ». Du moins c’est ainsi que je le ressens. J’entends le bruissement de feuilles secouées par la brise comme je sens le vent qui souffle avec force dans sa série « Collines ». Dans une autre série « Flux aquatiques » c’est la texture faite par l’eau des vagues qui viennent mourir sur le sable ou encore le blanc de leur écume qui en se brisant disperse la lumière contre un ciel argenté qui retient l’attention.

Série – Ombres et lumières

Pour ce qui concerne les êtres humains, dans les photos de Karin ils deviennent des reflets d’eux-mêmes. Elle se souvient de l’époque à Paris lorsqu’elle sillonnait la capitale avec sa caméra sur son scooter aux heures où les ombres s’allongent de manière à ce qu’elle puisse saisir les silhouettes des passants projetées contre les murs et sur le pavé. Ici aussi les prises de vues sont poétiques, pétries de mystère, des compositions qui nourrissent l’imagination.

J’ai, comme on le comprend, eu beaucoup de plaisir à interviewer Karin qui comme tant d’autres artistes a trouvé dans la Drôme un environnement et une atmosphère propice à son imagination.

 

INTERVIEW

Question

Enfant avais-tu des dispositions pour le dessin, la peinture ou autres formes d’activités créatives et comment en es-tu venue à la photographie ?

Réponse

Enfant, en Allemagne où je suis née on m’encourageait à faire du dessin et à bricoler. J’étais curieuse de tout et nous avions un grand jardin où j’aimais jouer mais aussi examiner tout ce qui y poussait et s’y passait. J’ai passé beaucoup de temps aussi dans les Alpes. Il y avait là de la matière et de la place pour l’imaginaire.

J’ai travaillé à Paris comme photographe professionnelle indépendante pendant 30 ans. J’opérais dans le domaine du sport, du portrait, de la mode, l’architecture et l’hôtellerie. Mon amour du paysage et mes rapports avec le monde du golf – j’étais une bonne joueuse – m’ont amenée à me spécialiser dans les photos de parcours de golf. Pour cela j’ai visité de nombreux pays pour des journaux spécialisés afin de capter la beauté spécifique des parcours sous des lumières magiques qui dessinent si bien les ondulations du terrain en jetant de longues ombres dans ce paysage si particulier. On se sent toute petite dans ce cadre grandiose ! Je continue encore à travailler régulièrement pour la rubrique golf du Figaro.

Mais en même temps je me suis orientée vers une liberté plus créative. À travers des prises de vues aux temps lents, affinées au fil du temps, je transforme ainsi la réalité pour créer un monde autre dans lequel je tente d’amener le spectateur vers des émotions enfouies, vers des souvenirs vagues, vers une beauté différente, vers son imaginaire qui surgit quand il ose abandonner ses repères réconfortants. C’est un monde déroutant et particulièrement émouvant qui s’ouvre !

Série – Silhouettes humaines

C’est ainsi que j’ai photographié des formes humaines qui s’estompant et deviennent des ombres ou de la couleur pure ; des êtres de l’imaginaire. Elles sont de moins en moins reconnaissables jusqu’à disparaître complètement, laissant place à l’abstraction, à quelque chose d’universelle, à une émotion pure.

Question

Est-ce que tu as une technique ou une méthode particulière d’opérer lorsque tu fais des prises de vues pour tes « photos libres » ?

Réponse

Souvent je fais des essais de prises de vues. Le numérique et la vision directe sur le capteur de l’appareil m’ont nettement facilité mes recherches. Certaines images ou bouts d’images m’intriguent, m’interpellent, me transportent hors du réel. Quelque chose se trouve sur le capteur de l’appareil, le voyage commence, l’urgence de découvrir la suite des possibilités devient pressante…

La technique a permis de créer un tout autre univers. Par exemple, à partir d’une photo de branches d’arbre une sorte de paysage blanc peut apparaître, des fêlures se devinent. Ou peut-être les courbes d’un corps ? Cela craque, ça s’ouvre, ça se transforme, une sorte d’abstraction s’installe, mais qui conserve de la profondeur, les volumes. Mais ça reste une sorte de paysage. L’infini grand ou l’infini petit. N’importe ! On peut voyager dans l’image comme un astronaute ou un plongeur.

Question

Que cherches-tu dans ton art ?

Réponse

Un poème de Friedrich Hölderlin m’a marquée écolière. Il parle de l’homme par rapport aux dieux. L’être humain est balloté par les vagues de la mer, jetées contre des rochers durs, refoulé…sans prise et minuscule dans des éléments violents comme une mer déchaînée. Ces pensées sont peut-être sous-jacentes à certaines de mes photos où je reproduis une nature qui se déchaine et qui traduit mes propres interrogations existentielles ? Et puis il y a ces personnages dans d’autres prises de vues qui s’immergent, apparaissent, disparaissent. Sont-ils réels, imaginés, rêvés et représentent-ils mes propres doutes par rapport aux perceptions de la réalité. Qui sait ?

Série – Flux aquatiques

Question

Quels sont les noms de quelques photographes connus que tu admires et qui t’inspirent. Le cas échéant pourquoi ?

Réponse

Henri Cartier Bresson sans aucun doute. Ses compositions sont parfaites, elles parlent et il a un grand sens de poésie et de l’humour que j’apprécie énormément. Et puis il y a le photographe Belge Harry Gruyaert. Quand j’ai découvert ses images dans les années 88-90 j’ai eu un choc. Je me sentais âme sœur immédiatement. Il est, écrira un critique, « un des rares pionniers européens à donner à la couleur une dimension purement créative, une perception émotive et radicalement graphique du monde. » C’est une démarche où je me retrouve entièrement.

Série – La rouge

Question

D’une manière générale à quoi sert l’art dans un monde qui croule sous les problèmes humanitaires, climatiques et autres et qui constituent des menaces de survie de notre espèce ? Penses-tu que l’IA un jour sera capable de transmettre la même émotion qu’un photographe et rendre par voie de conséquence l’acte de création individuelle caduc ?

Réponse

L’IA semble pouvoir créer de l’émotion, pourquoi pas. Elle sera peut-être un concurrent sérieux pour ceux qui font de la photographie commerciale. Mais elle ne rendra sûrement pas la création humaine caduque car le besoin de créer est une démarche personnelle qui existera toujours.

La création nous permet de garder un petit espace de liberté pour sentir ce qui est juste, la beauté, l’espoir dans ce monde difficile.

Question

Pour en terminer, est-ce que tu es d’accord avec cette phrase du photographe franco-américain Elliott Erwitt « Je pense que la chose la plus importante que vous puissiez faire en photographie est d’évoquer l’émotion, de faire pleurer ou rire les gens ».

Réponse

Elliott Erwitt a fait des images vraiment drôles. Il est connu pour ça et à juste titre. Une bonne photographie suscite l’émotion certes. Mais je dirais que je pars d’abord de mon besoin de me créer mes mondes et ensuite le spectateur fait bien ce qu’il veut ou peut avec ce « monde ». Dans l’idéal une émotion sera partagée. Et cela me touche alors comme un moment de complicité.

Série – Ombres et Lumières

Posted in: Art

  • Vous pouvez lire aussi…