Jusqu’ici, mon blog portait sur des artistes que j’ai rencontrés autour de moi dans la Drôme, c’est-à-dire sur ceux qui font de l’art. Cette fois, j’ai pensé qu’il serait intéressant d’interviewer une personne dont l’activité consiste à vendre de l’art.
Je connais Michèle Emiliani depuis de nombreuses années. Elle est propriétaire de la Galerie Emiliani à Dieulefit. En arrivant de Montélimar par la route et en empruntant l’avenue des Allées qui mène au centre-ville, à une centaine de mètres avant d’arriver à l’autre bout, un petit chemin sur la droite mène jusqu’au long bâtiment dans lequel se trouve la Galerie Emiliani. En entrant, les visiteurs prennent immédiatement conscience d’être au bon endroit pour voir de belles œuvres d’art. Si elle n’est pas en train de s’occuper d’un visiteur, Michèle sera assise juste derrière la porte d’entrée pour les accueillir. Elle a un beau visage et le regard de quelqu’un qui connaît son métier. Au fil du temps, j’ai pu admirer son goût et son professionnalisme. Le choix des œuvres exposées témoigne à chaque nouvelle exposition de sa familiarité avec un cercle de très bons artistes comme Pierre Boncompain, Jacques Pouchain, Michel Wolfhart, Patrice Giorda, Patrick Devreux, André Cottavoz et bien d’autres. Certains d’entre eux jouissent d’une réputation internationale et le fait qu’ils reviennent vers elle est un gage de confiance et des bonnes relations qu’ils entretiennent avec elle. C’est ainsi qu’elle accompagnera Boncompain en Chine où il exposera au Musée de Shanghai.
Nombreux sont ceux qui s’imaginent qu’une galerie d’art est dotée d’une aura spéciale, un beau sujet pour films romantiques ! La fréquentation du galeriste avec des artistes censés être (mais pas toujours) si intéressants et originaux serait forcément passionnante car leur monde est plein de créativité, et passer des journées entières entouré de leurs œuvres c’est baigner dans la beauté et dans une atmosphère chargée de signification. Dans une certaine mesure c’est vrai mais derrière cette façade glamour il y a beaucoup de travail, de nombreux obstacles et de longues heures de routine ennuyeuse. J’en sais quelque chose, car pendant plusieurs années, à La Haye, aux Pays-Bas, j’ai tenu une galerie avec deux amies. Dénicher les bons artistes et visiter leurs ateliers demande du temps et du discernement… et, à l’inverse, il n’est pas toujours aisé de maîtriser l’art de refuser les demandes d’exposition d’artistes qui viennent frapper à la porte de la galerie. Négocier les contrats en tenant compte des exigences des premiers et faire accepter les conditions requises pour une exposition n’est pas non plus toujours facile et demande à la fois diplomatie et fermeté. Et puis, en plus des tâches administratives routinières propres à toute entreprise commerciale, il faut assurer une bonne publicité: faire les maquettes et distribuer des affiches, établir et sans cesse mettre à jour de longues listes d’acheteurs potentiels, envoyer à temps les invitations aux expositions, entretenir des relations suivies et directes avec les amateurs intéressés par le travail des artistes de la galerie, assurer les permanences pendant les expositions afin de recevoir personnellement les visiteurs, etc. Tout cela laisse peu de place au rêve !
Je me demande parfois comment Michèle parvient à faire seule tout ce travail ? Et pourtant forte de sa longue expérience, elle semble y réussir sans difficultés, du moins apparentes. Au départ rien ne laissait présager pour elle une carrière de galeriste. Le hasard voudra qu’un peintre d’un certain renom lui ait proposé, lorsqu’elle était encore jeune, de devenir démarcheuse de tableaux pour son compte. Cela signifiait renoncer à un bon emploi, mais le défi que représentait l’aventure la séduira et Michèle s’y lancera avec enthousiasme. Ses premiers pas dans le domaine du marché de l’art sont prometteurs et au fil des rencontres et des ventes, elle constituera un réseau d’amateurs et de collectionneurs qui la conduira jusque dans la haute société londonienne. Elle gèrera ensuite pour un temps une galerie à Avignon avant de décider de monter sa propre galerie à La Bégude-de-Mazenc. Son mari, Serge, qui travaillait dans le milieu pharmaceutique suivra son exemple en installant sa propre galerie à Dieulefit en 1990. A partir de ce moment-là les rôles seront répartis, chacun avec son propre choix d’artistes. Malgré les hauts et bas inhérents à ce genre d’entreprise si sensible aux tendances extérieures, les deux galeries vont prospérer jusqu’à la triste disparition de Serge en 2005. Michèle décide alors de poursuivre seule. Elle abandonne La Bégude et continue là où elle se trouve aujourd’hui à la Galerie Emiliani à Dieulefit.
Je pense aussi au défi que Michèle s’est lancé de gérer en solo une galerie aussi importante que la sienne. J’ai fait quelques rapides recherches sur Internet et ce que j’ai trouvé a retenu mon attention car cela pourrait très bien affecter l’avenir des galeries d’art telles que nous les connaissons. Il y a environ 2000 galeries d’art contemporain en France aujourd’hui et 60.000 artistes plasticiens. D’après une enquête récente 80 % des galeristes font savoir que leurs revenus ces derniers temps sont en baisse. Par contre, le marché de l’art augmente de 20% chaque année. Je m’imagine que cette expansion, comme semble l’indiquer les statistiques, est due à l’augmentation des ventes par les salons d’art contemporain, les maisons de ventes aux enchères ainsi que les ventes en ligne. En ce qui concerne ces dernières, la hausse est significative, 15% par an. La Covid et le confinement, dans une certaine mesure, en seraient la cause et auraient grand ouvert la voie, et si cette tendance se poursuit la concurrence pour les galeries qui ont déjà du mal à exister risque d’être lourde. Je pense cependant que les galeries d’art du niveau de la Galerie Emiliani n’ont pas trop de soucis à se faire. Les vrais amateurs d’art éprouveront toujours le besoin « d’aller voir » pour « toucher des yeux » les œuvres qui les intéressent. J’ai trouvé intéressant aussi les raisons assez singulières avancées par certains qui voudraient que la croissance générale soit due aux bonnes ondes dégagées par l’art qui rassurent et consolent. Je laisse aux neurologues et psychologues (ou parapsychologues ?) le soin de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse. Qui sait ? Ce serait en tous cas un point fort de plus, à une époque troublée et aussi incertaine que la nôtre, pour nous inciter à se procurer et à posséder de l’art !
Quant à Michèle, même s’il lui arrive de réfléchir à sa succession, je ne peux qu’espérer que la Galerie Emiliani continuera encore longtemps à être dirigée sous son égide éclairée.
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