Charlotte Grimard – Petits Trésors

Il y a dans le monde de l’art une dimension existentielle qui n’est pas calculable, pas mesurable, pas contrôlable et qui ouvre à ceux qui s’en nourrissent un précieux espace de liberté grâce à l’acceptation de l’inconnu. J’aime faire de l’art pour moi-même mais aussi en explorer les multiples facettes chez les autres. C’est pour cette raison que j’ai créé mon blog qui rend compte de mes rencontres avec des artistes vivant et travaillant dans la Drôme. Je pense aux magnifiques tableaux de Benjamin Royaards, aux éclats de couleurs qui caractérisent ceux de Nadine Nacinovic, à la manière dont une étrangère, l’artiste anglaise Fiona McLean, capte si bien l’essence des paysages de la Drôme, ou encore à la lumière qui se dégage des toiles de Jean Soubeyran…et, tous les autres. Ce sont ces créateurs qui nous sortent de l’ornière du banal et qui apportent une grande brassée d’air frais dans un monde standardisé à l’extrême, pliant sous les règles et souffrant du manque d’imagination. Ces réflexions me viennent normalement en pensant à des œuvres de dimensions conséquentes et parfois monumentales comme des peintures, des sculptures, des installations. Mais cette fois, pour le présent blog, mon regard s’est porté sur des objets beaucoup plus petits.

Par chance je suis récemment tombé sur des pièces de joaillerie qui m’ont tout de suite frappé comme étant de véritables petites œuvres d’art. Elles ont été créées par une jeune femme avenante et communicative de trente-cinq ans qui se définit comme « Artisan Bijoutier » (ou faudrait-t-il dire aujourd’hui Artisanne Bijoutière ?). Dans le travail de Charlotte Grimard son originalité et sa capacité de créer sautent aux yeux. Ayant vu des images de ses créations avant de la rencontrer je l’avais déjà imaginée penchée sur son établi en train de tailler, de couper, de modeler une plaque d’argent ou d’or pour les transformer en de véritables créations artistiques. Et, lorsque je suis entré dans son atelier (SAASH) à l’Usine au Poët-Laval pour la première fois c’est exactement ainsi que je l’ai trouvée.

Charlotte a réparti son travail en deux catégories : Empreintes et Alliances. Ces dernières qui ont pour objet de confirmer un lien humain sont de véritables pièces uniques. Il n’y en a pas deux de pareilles. Les Empreintes vont plus loin. Elles ne sont pas seulement singulières mais aussi très intimes et le résultat d’un acte de création qu’elle veut partager avec la personne qui la portera. Il peut s’agir de bagues mais aussi de boucles d’oreilles, d’un pendentif, d’un bracelet, d’une broche ou d’un autre objet d’ornement. Ils seront personnalisés en y apposant l’empreinte d’un doigt ou de la paume de la main (ou peut-être encore d’une autre partie du corps ?) de ceux qui les offrent ou de ceux qui les reçoivent. La forme également sera décidée lors d’un dialogue avec l’artiste. Une philosophie semble donc sous-tendre l’art de Charlotte qui est bien en accord avec sa personnalité chaleureuse et enthousiaste. C’est une des raisons pour lesquelles je souhaitais la rencontrer : « Je suis convaincu de faire un art utile » dit-elle et d’ajouter « Et, je le fais avec beaucoup, beaucoup d’amour. »

Et puis, en considèrant tout ce que j’ai pu voir de son travail j’ai immédiatement été interpellé chez Charlotte par son style parfaitement contemporain. En dépit du format réduit de ses bijoux, en un éclair, certains m’ont fait penser, en les agrandissant dans mon imagination, à de belles compositions abstraites savamment équilibrées. Pour moi, malgré leurs petites dimensions, il s’agit bien d’art avec un grand A. J’étais à peine surpris en apprenant qu’elle avait travaillé pendant un certain nombre d’années dans les ateliers de Joep van Lieshout en Hollande et d’Anselm Kiefer à Paris, tous deux de grands artistes de réputation internationale. La qualité du travail de Charlotte est incontestable et en plus pour reprendre ses paroles son art se veut utile. Elle y met aussi dit-elle de son âme. Raisons d’en savoir plus sur son parcours peu commun. Elle a très gentiment accepté de répondre aux quelques questions qui suivent.

Question

Tu dis être convaincue de faire un « art utile. » Pourquoi et comment ?

Réponse

C’est à travers les messages de remerciements de mes clients que j’ai compris que je faisais un art à leur service, un art qui pouvait les aider dans un souvenir à garder, dans une histoire à partager.

Vidéo

Question

Tu le fais avec « beaucoup d’amour. » Il y a donc, hormis le simple besoin de créer, un état d’esprit qui accompagne ton œuvre. Est-ce dans la satisfaction que te procure ton travail pour toi-même que réside cet amour ou peut-être aussi dans la projection de celle que tu donnes à d’autres ?

Réponse

Il est évident que je travaille chaque objet à l’intention de quelqu’un qui le portera pendant des années, le transmettra. Donc j’essaie d’y mettre moi aussi les meilleures intentions.

Question

Tu as choisi le métier de bijoutière. Pourquoi ce choix ?

Réponse

Ce n’est pas vraiment un choix ; mon vrai choix est venu plus tard. Après mes années en tant que mouleuse chez Anselm Kiefer, une amie -Agnès- a insisté pour que j’aille découvrir le travail de René Talmon L’Armée, joaillier à Paris. J’ai eu alors une véritable fascination pour cet artisanat d’œuvres uniques mais à des échelles minuscules. Tous les outils que j’employais étaient les mêmes mais en version réduite, mais avec un champ des possibles énorme. Il m’a alors engagée pour l’aider dans ses recherches de textures, et en échange il a été mon maître de bijouterie pendant plusieurs années avant que je prenne mon envol dans la Drôme.

Question

Quelle est ta formation de base et ensuite ton parcours ?

Réponse

J’ai fait une mise à niveau en Arts Appliqués, un BTS Stylisme de Mode, puis un DSAA Design textile. La matière a toujours été dans mes mains. Après différents stages au Brésil, à Madrid, j’ai travaillé en tant qu’assistante à Rotterdam pour les Ateliers Van Lieshout, Anselm Kiefer à Paris, puis René Talmon L’Armée à Paris, avant de venir m’installer au Poët-Laval.

Question

Des stages de plusieurs années auprès de grands artistes contemporains dont le travail est tellement différent du tien comme pour Joep van Lieshout et Anselm Kiefer me paraissent une démarche inhabituelle pour une bijoutière. Quelles sont les influences à ton avis que ces grands artistes ont pu exercer sur toi ?

Réponse

Ils m’ont clairement permis de toucher des matières de tous types, avec des approfondissements de techniques diverses telles que la soudure, la sculpture de polystyrène, la fibre de verre, le moulage… Je n’ai du coup pas de limites à créer des matières, à faire des expérimentations dans mes prototypes de bijoux, car je vois chaque pièce comme une petite œuvre d’art.

Question

En consultant ton site qui est très bien fait ainsi que la manière dont tu es organisée donne à supposer qu’en plus de l’artiste il y a aussi un solide esprit d’entreprise chez toi.

Réponse

Tout à fait, ces cinq années à gérer un atelier de bijouterie parisien m’ont donné les clefs de l’apprentissage de la gestion d’une petite société, du côté administratif. Désormais à la tête de mon atelier depuis 3 ans et demi, j’ai mon premier salarié, et chaque jour m’apporte de nouveaux challenges à apprendre à gérer en tant que cheffe d’entreprise, toujours dans la bonne humeur.

Question

La vie d’artiste est difficile et le plus souvent peu rémunératrice. Celle de bijoutière comme toi avec un bel atelier, un matériel coûteux, un bon appareillage nécessite, hormis une certaine régularité dans les ventes, sans doute d’autres moyens de revenus comme par exemple l’organisation de stages pour subvenir à tes besoins. Comment fais-tu ?

Réponse

Pour le moment, le chemin que je prends n’est jamais certain (je ne peux pas imaginer la régularité de mes ventes), mais j’ai toujours fait en fonction de mes moyens, je n’ai rien emprunté, j’avance au fur et à mesure que ma trésorerie me le permet. Chaque tremplin est toujours un peu stressant, mais c’est tellement génial d’avoir plein d’envies !

Question

As-tu des projets d’avenir ?

Réponse

J’en ai beaucoup ! Je vais essayer de faire réapparaître la sculpture dans mon travail, lors d’expositions à Paris. Je développe une nouvelle technique depuis quelques semaines, l’électroformage, qui me permet de métalliser des matières naturelles. Je suis hyper enthousiaste !

 

 

 

 

 

 

 

 

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